Histoire de Bordeaux : derrière les façades blondes des quais, la capitale girondine recèle plus de deux millénaires d’événements majeurs. En 2023, l’Office de tourisme a recensé 6,1 millions de visiteurs, soit +11 % par rapport à 2019 – preuve que la curiosité pour son passé n’a jamais été aussi vive. De la fondation gallo-romaine à la métropole viticole classée par l’UNESCO, la ville demeure un laboratoire d’innovations urbaines et culturelles. Plongeons, dates à l’appui, dans cette chronique bordelaise qui fascine historiens comme promeneurs.
Au fil des siècles : chronologie essentielle
Burdigala, nom latin de Bordeaux, naît vers –56 av. J.-C. avec l’arrivée des troupes de Crassus. Rapidement, le site devient un port commercial de premier plan sur la Garonne.
- IIIᵉ siècle : les remparts dits « du Palais Gallien » protègent 30 000 habitants.
- 1154 : grâce au mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt, la ville passe sous couronne anglaise. Le commerce du vin explose.
- 1453 : bataille de Castillon, fin de la guerre de Cent Ans, retour à la France.
- 1715-1780 : « siècle d’or » ; architecture classique signée Ange-Jacques Gabriel, création de la Place Royale (Place de la Bourse).
- 1793 : épisode girondin de la Révolution ; 22 députés bordelais guillotinés.
- 1870 et 1914 : Bordeaux devient capitale provisoire lors des invasions prussienne puis allemande.
- 2007 : le Port de la Lune est inscrit au patrimoine mondial.
- 2024 : inauguration du pont Simone-Veil, neuvième franchissement de la Garonne, symbole d’expansion métropolitaine.
Ces jalons illustrent la capacité de Bordeaux à se réinventer, entre influences anglaises, richesse coloniale puis élan contemporain.
Pourquoi Aliénor d’Aquitaine a-t-elle façonné Bordeaux ?
Aliénor d’Aquitaine (1122-1204) incarne l’un des tournants majeurs de l’histoire locale. Reine de France puis d’Angleterre, elle dote la cité d’un statut privilégié au sein de l’empire Plantagenêt.
Un accès direct aux marchés anglais
En associant la Garonne aux comptoirs de Bristol ou Londres, Aliénor stimule les exportations de « claret » : en 1300 déjà, 1 million de tonneaux franchissent la Manche. Cette dynamique vinicole, toujours active – 5,6 millions d’hectolitres produits dans le Bordelais en 2022 – reste la colonne vertébrale économique de la région.
Une présence culturelle durable
Chroniqueurs et troubadours célèbrent la cour d’Aquitaine. Les manuscrits conservés à la Bibliothèque Mériadeck témoignent d’une production littéraire sans équivalent en province. De mon expérience d’archive, j’ai souvent été frappée par la modernité des chartes ducales : utilisation précoce du français, protection des libertés bourgeoises. Cette tradition juridique éclaire l’esprit entrepreneurial bordelais actuel.
D’un côté, la vision anglo-saxonne d’un commerce libéré des entraves féodales ; de l’autre, la tutelle capétienne revenue en 1453 qui restructure la fiscalité. Cette tension explique l’urbanisme hiérarchisé autour des paroisses puis des cours, encore visible dans le tracé des Cours de l’Intendance ou du Cours Victor-Hugo.
Patrimoine urbain : pierres, vins et fleuve
Qu’est-ce que le Port de la Lune ?
Le « Port de la Lune » désigne la courbure de la Garonne embrassant le centre historique. Classé par l’UNESCO, il rassemble 1 810 hectares de façades néo-classiques.
- Surface classée : 40 % du territoire communal.
- 347 monuments protégés (données DRAC 2024).
- Période dominante : 1750-1820, époque d’Intendant Tourny.
Mon opinion : marcher au crépuscule sur les quais, quand la pierre de Frontenac prend une teinte dorée, reste la meilleure leçon d’architecture grandeur nature – plus efficace qu’une salle de cours.
De Montaigne à Chaban-Delmas
Outre les bâtisseurs, Michel de Montaigne (maire de 1581 à 1585) introduit un espace de débat intellectuel. Son « Que sais-je ? » résonne encore dans l’université qui porte son nom. Au XXᵉ siècle, Jacques Chaban-Delmas modernise la ville : pont d’Aquitaine (1967), plan de circulation en étoile et première ligne de bus à haut niveau de service (ancêtre du tram). Les archives municipales indiquent qu’entre 1960 et 1975, la superficie urbanisée progresse de 37 %. Pourtant, cette croissance se paie d’un exode intra-muros : la population du centre baisse alors de 50 000 habitants.
Un patrimoine viticole mondial
Les appellations Médoc, Saint-Émilion, Pessac-Léognan forment un écrin rural autour de la métropole. Depuis l’ouverture de la Cité du Vin en 2016, la fréquentation culturelle bondit : 460 000 visiteurs en 2023, dont 34 % d’étrangers. Ils découvrent la complexité des 65 appellations bordelaises (AOC) et l’impact du changement climatique : +1,1 °C de température moyenne depuis 1950, modifiant maturité et typicité des cépages.
Héritages contemporains et enjeux de transmission
Bordeaux conjugue conservation et innovation.
- Rénovation du quartier des Bassins à flot : friches portuaires devenues hauts lieux du patrimoine industriel.
- Programme « Bordeaux Grandeur Nature » (2024-2030) : objectif de 30 % d’espaces verts, contre 12 % aujourd’hui.
- Extension du tramway vers Saint-Médard-en-Jalles : 21 km supplémentaires pour réduire le trafic automobile de 18 % (projection métropole 2025).
Pourtant, la dichotomie persiste : garder l’âme du XVIIIᵉ siècle tout en répondant à la pression immobilière (+7,8 % sur les prix en 2023). Certains riverains redoutent une gentrification muséale, quand d’autres saluent la revitalisation de zones naguère délaissées.
Comment la mémoire coloniale est-elle prise en compte ?
Depuis 2019, la mairie a installé des panneaux explicatifs devant les demeures d’armateurs ayant profité du commerce triangulaire. Une démarche saluée par l’historienne Myriam Cottias, mais jugée tardive par des collectifs citoyens. J’ai assisté à une de ces inaugurations : la tension palpable prouve que l’histoire n’est jamais figée. Inscrire cette mémoire dans l’espace public reste un acte urbain essentiel – un chantier similaire à celui mené par Nantes ou La Rochelle.
Points-clés à retenir
- Burdigala naît en –56 av. J.-C. et compte déjà 30 000 habitants au IIIᵉ siècle.
- Aliénor d’Aquitaine propulse le commerce du vin dès 1154.
- 347 monuments protégés composent le Port de la Lune (statut UNESCO depuis 2007).
- La Cité du Vin a accueilli 460 000 visiteurs en 2023.
- Le pont Simone-Veil (2024) symbolise l’expansion urbaine contemporaine.
Je poursuis mes déambulations d’archives en chantiers, convaincue qu’arpenter Bordeaux, c’est feuilleter un manuel d’histoire grandeur nature. Gardez l’œil ouvert : derrière chaque mascaron, une anecdote attend de livrer son secret. À vous désormais de creuser ces strates temporelles et de prolonger le voyage, pourquoi pas en explorant les vignobles alentour ou le rôle de Bordeaux dans la Révolution industrielle.


