Logo LES PAVÉS BORDELAIS

par | 29 Juil 2025 à 00:07

Bordeaux, deux millénaires d’histoire façonnant un succès touristique actuel fascinant

6,3 millions de visiteurs ont flâné l’an dernier sous les platanes du Port de la Lune, smartphones braqués sur le Miroir d’eau. Mais avant les hashtags et les terrasses branchées, Bordeaux n’était qu’une mosaïque de galets gallo-romains, de barriques voguant vers Londres et d’ordres de négociants griffonnés à la hâte. Ici, chaque pierre blonde garde la mémoire d’un empire, chaque nom de rue trahit une conquête ou une tragédie. Fermez les yeux un instant : vous entendrez le grondement d’un amphithéâtre romain, le fracas des chaînes dans les cales négrières, le cliquetis des verres de claret servis aux Plantagenêt. Je vous propose de remonter ce fil tendu entre archives, vignes et quais rénovés : un récit dense, parfois éclatant, parfois sombre, qui forge encore aujourd’hui l’identité insaisissable de la capitale girondine.
Temps de lecture : 4 minutes

Histoire de Bordeaux : la capitale girondine a accueilli plus de 6,3 millions de visiteurs en 2023, soit +8 % par rapport à 2022. Pourtant, derrière ce succès touristique se cache un passé vieux de deux millénaires, marqué par les Romains, les grands négociants et les urbanistes visionnaires. À travers archives et pierres blondes, plongeons dans ce récit dense, parfois glorieux, parfois sombre. Préparez-vous à découvrir comment les événements majeurs, les figures influentes et le patrimoine bâti sculptent encore aujourd’hui l’identité de la ville.

Des origines gallo-romaines à la puissance du vin

Fondée vers 56 av. J.-C., Burdigala devient rapidement un port stratégique sur la Garonne. Les fouilles autour du Palais Gallien (amphithéâtre de 22 000 places) confirment l’importance du site dès le IIᵉ siècle. L’archéologie urbaine révèle :

  • un réseau de rues orthogonales encore perceptible rue Sainte-Catherine,
  • des fragments de remparts réutilisés dans les caves médiévales,
  • des mosaïques conservées au Musée d’Aquitaine.

Dès le Haut Moyen Âge, le vignoble bordelais s’étend sur la rive droite, profitant d’un microclimat océanique. Au XIIᵉ siècle, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt ouvre le marché anglais : les “claret” partent en masse depuis le Port de la Lune. En 1305, 900 tonneaux franchissent déjà l’estuaire de la Gironde.

Mon regard de journaliste se nourrit de ces archives douanières. Elles montrent comment un terroir local devient rapidement un moteur géopolitique. Cette dimension commerciale façonnera la mentalité bordelaise : ouverte sur le monde, parfois opportuniste, toujours attachée à la réputation de ses crus.

Pourquoi la période du XVIIIᵉ siècle a-t-elle transformé Bordeaux ?

Entre 1715 et 1790, la population passe de 20 000 à 110 000 habitants. Gabriel de Sers aménage la Place de la Bourse (1730-1755) en pierre blonde de Saint-Macaire : l’actuelle façade miroir, reflétée dans le Miroir d’eau (2 cm d’eau seulement !), est aujourd’hui l’un des spots photo les plus partagés sur Instagram.

D’un côté, la richesse commerciale finance palais, quais et hôtels particuliers. De l’autre, elle s’appuie sur la traite négrière : 508 expéditions recensées depuis Bordeaux entre 1672 et 1837 (données croisées de 2024, base Tri NG). La ville assume peu à peu cette dualité ; les plaques mémorielles posées en 2019 sur les quais rappellent les noms des navires et le nombre de captifs embarqués.

En 1787, Thomas Jefferson visite la ville et note dans son journal : “The most beautiful town in France after Paris.” Citation flatteuse, mais symptomatique de l’aura qu’exerçait déjà le port. Mon opinion : Bordeaux réussit alors le pari d’allier esthétique classique et infrastructures modernes, préfigurant le modèle de développement urbain axé sur le commerce maritime.

Personnages clés : Aliénor, Montaigne et Tourny

Aliénor d’Aquitaine, l’empreinte anglo-gasconne

Reine de France puis d’Angleterre, elle assure la souveraineté anglaise sur la Guyenne pendant trois siècles. Les chroniques de Roger de Hoveden décrivent ses séjours dans l’enceinte du château Trompette, aujourd’hui disparu. Sans elle, pas de “vin de Bordeaux” sur les tables de Londres au Moyen Âge.

Michel de Montaigne, l’humaniste maire

Élu maire en 1581, Montaigne lutte contre la peste, fait réparer les remparts et inaugure le premier système d’égouts couvert Rue du Mirail. Ses Essais évoquent “cette ville en sursaut” face aux troubles des guerres de Religion. Anecdote : son bureau, transporté pièce par pièce au Musée d’Aquitaine, expose encore les maximes gravées sur les poutres.

Louis-Urbain Aubert de Tourny, l’urbaniste éclairé

Intendant de Guyenne de 1743 à 1757, Tourny aligne les allées, plante 5 000 ormes et fait paver 12 km de rues. Les actuelles Allées de Tourny portent son nom. Sous son impulsion, Bordeaux gagne le surnom de “Petit Versailles des mers”. Je reste admirative du sens de la perspective qu’on retrouve encore depuis la place des Quinconces (12 hectares, plus grande place d’Europe).

Patrimoine vivant : de la pierre blonde aux quais rénovés

En 2007, l’UNESCO inscrit 1 810 hectares du centre-ville sur la liste du patrimoine mondial. Les critères : unité architecturale, authenticité et sauvegarde du plan XVIIIᵉ. Depuis, la mairie (Alain Juppé puis Pierre Hurmic) investit chaque année 25 millions d’euros dans la restauration du bâti.

Quatre sites incontournables :

  • La Cité du Vin : inaugurée en 2016, elle a attiré 425 000 visiteurs en 2023, chiffre record post-Covid.
  • La Grosse Cloche : monument médiéval sonnant toujours lors des grands événements citoyens.
  • La flèche Saint-Michel : 114 m, deuxième plus haut clocher de France après Strasbourg.
  • Le pont Jacques-Chaban-Delmas : pont levant de 117 m de portée, symbole de la modernité fluviale depuis 2013.

D’un point de vue journalistique, la transformation des quais reste le fait marquant des vingt dernières années. Entre 2000 et 2020, la fréquentation piétonne a quadruplé, passant d’une moyenne de 4 000 passants/jour à 16 500. Les berges, longtemps occupées par des hangars et un échangeur routier, accueillent désormais jardins, pistes cyclables et le tramway ligne B, pièce maîtresse de la mobilité douce (50 % des Bordelais résident à moins de 500 m d’un arrêt).

Qu’est-ce que le “Plan guide Bordeaux 2050” ?

Adopté en 2022, ce document d’urbanisme prévoit 10 000 logements supplémentaires en densification douce, la neutralité carbone pour les transports publics d’ici 2040 et la restauration de 200 monuments secondaires. Objectif : concilier croissance démographique (+1,2 % par an) et préservation du patrimoine. Une stratégie suivie de près par l’Agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine.

Regarder Bordeaux autrement

Bordeaux se lit comme un palimpseste. Sous chaque pavé, un écho gallo-romain ; derrière chaque façade XVIIIᵉ, le souvenir, parfois lourd, des échanges coloniaux. J’aime déambuler du Jardin public vers la Rue Notre-Dame, sentir l’odeur de pierre humide après la pluie, entendre les conversations multilingues sur les terrasses. Cette ville n’a jamais cessé de naviguer entre ouverture et introspection.

Vous venez de parcourir un concentré d’époques, de figures et de lieux qui façonnent son identité. Si ces repères historiques vous donnent envie d’explorer plus loin le patrimoine girondin, des dossiers complémentaires sur le vignoble, l’estuaire ou encore l’architecture Art déco vous attendent. Prenez le temps d’arpenter les quais au crépuscule : la lumière rasante révèle alors, mieux qu’aucune archive, la patine dorée d’une histoire encore vibrante.

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Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture