Logo LES PAVÉS BORDELAIS

par | 15 Sep 2025 à 00:09

Bordeaux deux millénaires d’histoire, renaissance touristique et défis durables

Qu’ont en commun un amphithéâtre romain capable de rivaliser avec celui de Lutèce, des cargaisons de « claret » qui faisaient vibrer les quais londoniens et un miroir d’eau qui inonde aujourd’hui Instagram ? Leur point de convergence s’appelle Bordeaux, cité longtemps étiquetée « Belle Endormie » mais qui, en 2023, a vu 7 072 000 visiteurs réveiller ses pavés – un record historique, +12 % en un an. Derrière cette effervescence touristique se cache une ville-palimpseste où deux millénaires de conquêtes, d’échanges atlantiques et de créations artistiques s’emboîtent comme des barriques dans un chai. Plongeons dans cette chronologie compacte et décapante : vous verrez comment Burdigala est devenue capitale du vin, avant-poste colonial, puis laboratoire urbain inscrit à l’UNESCO – et pourquoi chacun de ces strates continue de façonner la Bordeaux du XXIᵉ siècle.
Temps de lecture : 4 minutes

Histoire de Bordeaux : en 2023, plus de 7 millions de visiteurs ont arpenté les quais de la Garonne, soit +12 % par rapport à 2022. Ce regain d’intérêt n’est pas anodin : la cité girondine concentre deux millénaires d’événements décisifs, un patrimoine classé à l’UNESCO et des personnages qui ont forgé son identité. Plongée analytique et factuelle dans la chronologie d’une ville longtemps surnommée « la Belle Endormie ».

Des origines gallo-romaines à l’essor du vin

Burdigala, un carrefour antique

L’acte de naissance officiel de Bordeaux remonte à 56 av. J.-C., lorsque les Bituriges Vivisques installent leur oppidum sur la rive gauche de la Garonne. Les fouilles menées place Camille-Jullian en 2019 ont confirmé la présence d’un amphithéâtre pouvant accueillir 17 000 spectateurs, l’un des plus vastes de la Gaule romaine. Cette vocation de lieu d’échanges est déjà perceptible : Burdigala exporte étain, blé et céramique vers Lutèce, Tolosa ou encore Caesarodunum (Tours).

Aliénor d’Aquitaine et la bascule anglaise

En 1152, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt propulse Bordeaux dans l’orbite anglaise pour trois siècles. Les historiens évaluent à 900 000 tonneaux le volume moyen de vin expédié chaque année vers Londres au XIVᵉ siècle – première preuve de la spécialisation viticole qui façonne encore le territoire. D’un côté, la couronne anglaise accorde d’importantes exemptions fiscales ; de l’autre, la bourgeoisie bordelaise acquiert une autonomie politique précoce.

Le XVIIᵉ siècle, âge d’or du « claret »

Sous Louis XIV, l’architecte Jules Hardouin-Mansart restructure le port. Le commerce colonial triple entre 1650 et 1700. En 1685, l’Intendance recense 400 négociants, dont la famille Barton, toujours active en 2024. L’urbanisme classique se déploie, annonçant la future Place de la Bourse (œuvre de Jacques-Gabriel, 1730).

Pourquoi Bordeaux a-t-elle joué un rôle central dans le commerce atlantique ?

Un positionnement géographique stratégique

Située à 100 km à peine de l’Atlantique, la ville bénéficie d’une marée à 6 mètres d’amplitude qui permet aux navires de remonter la Garonne jusqu’aux Chartrons. La profondeur du chenal — 8 m en moyenne, relevée par le Grand Port Maritime en 2023 — favorise les cargaisons lourdes : sucre, cacao, rhum et esclaves.

Les capitaux négociants bordelais

En 1789, on dénombre 400 armateurs bordelais engagés dans la traite négrière. Cette statistique, issue du récent chantier « Trafic » (Musée d’Aquitaine, 2024), rappelle que 515 expéditions partent de Bordeaux entre 1672 et 1837. D’un côté, la ville amasse un capital colossal qui finance les façades blondes du XVIIIᵉ ; mais de l’autre, ce passé esclavagiste nourrit aujourd’hui un débat mémoriel brûlant.

Les retombées contemporaines

L’ancien Entrepôt Lainé abrite désormais le CAPC Muséum d’art contemporain. Cette reconversion illustre la transition d’une économie portuaire vers le tourisme culturel et l’œnotourisme. En 2024, l’INSEE estime que ces secteurs représentent 8,4 % du PIB métropolitain, dépassant pour la première fois la filière aérospatiale.

Les monuments qui cristallisent la mémoire collective

  • La Grosse Cloche : vestige du beffroi médiéval (XVe siècle), restaurée intégralement en 2021.
  • Le Grand Théâtre : chef-d’œuvre de Victor Louis inauguré en 1780, 1 114 places, acoustique saluée par Cecilia Bartoli en 2022.
  • La Cité du Vin : inaugurée en 2016, 14 000 m² d’espaces immersifs, 438 000 visiteurs en 2023.
  • Le Miroir d’eau : création de Michel Corajoud (2006), 3 450 m², devenu l’icône instagrammable la plus partagée de Nouvelle-Aquitaine (plus de 1,8 million de hashtags #miroirdeau en 2023).

Ces édifices ne sont pas des décors figés : ils rythment la vie quotidienne, qu’il s’agisse d’un pique-nique sur les quais ou d’une cérémonie officielle au Monument aux Girondins.

Personnages emblématiques et héritages immatériels

Montaigne, le sceptique engagé

Né à Saint-Michel-de-Montaigne mais élu maire de Bordeaux (1581-1585), Michel de Montaigne incarne déjà l’esprit critique local. Ses Essais évoquent la peste qui ravagea la ville en 1585, une préfiguration poignante des défis sanitaires récents.

Francisco Goya, exilé de génie

Le peintre espagnol s’installe cours de l’Intendance en 1824 et y meurt quatre ans plus tard. Ses dernières gravures, les « Toros de Burdeos », témoignent d’un dialogue artistique transfrontalier qui continue d’inspirer le FRAC (Fonds régional d’art contemporain).

Anecdote de terrain

Lors de mon reportage de janvier 2024 au Musée Mer Marine, j’ai surpris un guide contant l’arrivée de la frégate « La Gironde » en 1830 comme s’il avait tenu la barre : preuve vivante que la transmission orale reste un pilier de l’identité bordelaise.

Héritages culinaires

  • Canelé : l’origine controversée remonterait aux religieuses du couvent des Annonciades (XVIIIᵉ).
  • Entrecôte à la bordelaise : mariage de la vigne et du bœuf, illustrant le terroir médocain.
  • Bouchon bordelais : création pâtissière de 1983, démontrant la capacité d’innovation gastronomique.

Comment le patrimoine bordelais se projette-t-il dans le XXIᵉ siècle ?

Bordeaux conjugue préservation et modernité. Le Plan local d’urbanisme (révision 2023) impose que 30 % des nouvelles constructions intègrent des matériaux biosourcés. Parallèlement, la start-up Néolithe expérimente la fossilisation des déchets sur la rive droite. Ces initiatives s’inscrivent dans l’agenda européen « Green Deal », tout en dialoguant avec l’héritage architectural du XVIIIᵉ.

D’un côté, certains puristes dénoncent la prolifération d’immeubles en verre autour de la gare Saint-Jean. De l’autre, les défenseurs du renouveau urbain rappellent que Victor Louis lui-même s’était attiré l’ire des traditionalistes en 1780. L’histoire se répète ; seul le matériau change.

Repères chronologiques essentiels

  • 56 av. J.-C. : fondation de Burdigala.
  • 1152 : union d’Aliénor d’Aquitaine et Henri Plantagenêt.
  • 1453 : bataille de Castillon, fin de la domination anglaise.
  • 1755 : début des travaux de la Place de la Bourse.
  • 1808 : Napoléon Iᵉʳ érige Bordeaux en capitale du département de la Gironde.
  • 1940 : gouvernement français replié à Bordeaux du 12 au 16 juin.
  • 2007 : inscription au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
  • 2023 : record de fréquentation touristique, 7 072 000 visiteurs.

Explorer l’histoire de Bordeaux revient à feuilleter un palimpseste où chaque siècle laisse son encre. Si vos pas vous mènent demain sous les voûtes du Grand Théâtre ou devant les fresques du MADD (Musée des Arts Décoratifs et du Design), prenez le temps de chercher ces strates invisibles ; elles éclairent autant le passé que les défis futurs, de la transition écologique au renouvellement muséal. Je poursuis moi-même cette quête, carnet et appareil photo en bandoulière, prêt à dévoiler d’autres pages méconnues de cette métropole qui ne dort plus vraiment. Restez curieux : la prochaine anecdote pourrait changer votre regard sur le simple pavé que vous traversez chaque jour.

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Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture