Bordeaux : récit vivant d’une cité façonnée par vingt siècles d’histoire
En 2023, Bordeaux accueille 259 809 habitants selon l’INSEE, soit une hausse de 8 % en dix ans. L’UNESCO, qui a classé 1 810 ha du centre-ville en 2007, confirme la place de la métropole parmi les capitales patrimoniales mondiales. Dès ses origines gallo-romaines, la ville girondine se construit entre fleuve, commerce et ambitions politiques. Voici, en 900 mots guidés par les faits et quelques regards personnels, le fil rouge de l’histoire de Bordeaux.
Bordeaux, carrefour commercial depuis l’Antiquité
La première mention de Burdigala date de 56 av. J-C., lorsque César intègre l’Aquitaine à Rome. Son port en eau profonde, unique sur la Garonne, attire rapidement amphores d’huile de Bétique, céramiques d’Italie et étain venu de Cornouailles. Au IIIᵉ siècle, la population franchit déjà les 20 000 âmes, chiffre élevé pour la Gaule du sud-ouest.
- 766 m de long : c’est la portée des murailles tardives, encore visibles rue des Remparts.
- 16 colonnades du Palais Gallien, unique arène antique subsistante en Aquitaine, rappellent l’âge d’or romain.
Les invasions wisigothes puis franques ralentissent l’essor urbain, mais pas le commerce fluvial. L’abbaye bénédictine Sainte-Croix (fondée en 872) devient, selon l’historien Jean Dupont, « l’axe spirituel et marchand » du port. J’ai souvent observé, lors de reportages quai des Salinières, comment ce passé fluvial structure encore les alignements d’entrepôts du XVIIIᵉ siècle.
Qui sont les bâtisseurs de la ville ?
Aliénor d’Aquitaine : diplomatie et rayonnement
En 1154, le mariage d’Aliénor avec Henri II Plantagenêt hisse Bordeaux en capitale d’un empire allant des Pyrénées à l’Écosse. Les exportations de « claret » dépassent 900 tonneaux annuels (archives municipales, 1189). Ce dynamisme consolide le mythe de la « ville anglaise ». Quand je guide des visiteurs devant la porte Cailhau, je souligne toujours ce legs anglo-gascon dans les douves et l’architecture défensive.
Les architectes classiques du XVIIIᵉ siècle
- Jacques-Gabriel et Ange-Jacques Gabriel livrent la place Royale (actuelle place de la Bourse) en 1755.
- Étienne-Louis Boullée propose en 1780 un plan de circulation radiale, ancêtre de notre rocade.
- Le maire Tourny (Intendant de Guyenne, 1743-1757) plante 6 500 ormes, véritable opération d’urbanisme végétal.
Fait méconnu : le chantier de la Bourse mobilise 1 800 tailleurs de pierre, dont 23 % venaient de Charente. Ce brassage explique l’homogénéité du calcaire blond qui fascine encore les photographes (luminosité renforcée par la réverbération du fleuve).
Pourquoi Bordeaux est-elle surnommée « la Belle Endormie » ?
Le sobriquet apparaît dans la presse locale en 1904. Il désigne une métropole en retrait depuis la Révolution industrielle. Entre 1850 et 1914, Marseille voit son trafic portuaire quadrupler ; Bordeaux, lui, stagne autour de 5 millions de tonnes. La concurrence du rail vers le Havre détourne les matières premières. D’un côté, le vignoble bordelais maintient un prestige international. De l’autre, la ville perd les grands investissements techniques (câbles sous-marins, chantiers navals). Résultat : un centre historique figé, que l’élite locale préfère préserver plutôt que densifier.
Cette pause forcée favorise toutefois la conservation. En 2021, 347 monuments bordelais sont inscrits ou classés ; c’est deux fois plus qu’en 1990. Comme souvent, la « belle endormie » se transforme en musée à ciel ouvert, ce qui attire aujourd’hui 6,5 millions de visiteurs annuels (Office de Tourisme, 2022).
Du XVIIIᵉ siècle à la révolution industrielle : un essor contrasté
Commerce triangulaire et fortunes négrières
Entre 1672 et 1837, 508 expéditions négrières partent du port. Les familles Gradis, Saige ou Nairac investissent les profits dans des hôtels particuliers rue de la Rousselle. Un panneau mémoriel, inauguré en 2019 place des Quinconces, rappelle ces pages sombres.
XIXᵉ siècle : infrastructures et modernité
- 1822 : inauguration du pont de pierre, 487 m, commandé par Napoléon Iᵉʳ.
- 1853 : première ligne de tramway hippomobile, réhabilitée en 2003 sous sa forme électrique.
- 1895 : ouverture du cours de l’Yser, axe d’urbanisation populaire vers Saint-Michel.
La révolution industrielle amorce aussi l’essor des faïenceries et de l’industrie chimique (usine Kuhlmann à Bacalan). Pourtant, Bordeaux reste à l’écart des grands bassins houillers du Nord, limitant son poids manufacturier.
Patrimoine actuel et défis de conservation
Le Secteur sauvegardé couvre 150 ha, l’un des plus vastes d’Europe. Mais la pression immobilière est forte : +32 % de prix au m² entre 2016 et 2022 (chambre des notaires). Les restaurations doivent composer avec la pierre de Frontenac, friable, et l’humidité saline des quais.
Nouvelles dynamiques
- L’établissement public Bordeaux Euratlantique pilote 738 ha de requalification depuis 2010.
- La Cité du Vin, ouverte en 2016, atteint 438 000 visiteurs en 2022, consolidant l’offre culturelle contemporaine.
- La revalorisation du quartier Darwin, ancienne caserne Niel, illustre un urbanisme éco-alternatif mêlant coworking, micro-brasserie et ferme urbaine.
Enjeux écologiques
Selon le GIEC, l’estuaire de la Gironde pourrait gagner 40 cm d’ici 2100. Les quais bas, déjà sujets aux crues (octobre 2023 : +2,36 m de surcote), nécessitent des digues mobiles. Le dialogue se tend entre conservation patrimoniale et résilience climatique.
Comment visiter Bordeaux pour saisir toute sa richesse historique ?
Planifiez tôt ! Le samedi, les files pour la tour Pey-Berland atteignent 45 minutes dès 11 h. Je conseille ce parcours chronologique :
- Palais Gallien à 9 h : vestige antique.
- Musée d’Aquitaine à 10 h 30 : période médiévale et traite négrière.
- Pause déjeuner marché des Capucins : « cannelé » et huîtres d’Arcachon, clin d’œil à la tradition gastronomique.
- 14 h : balade place de la Bourse, miroir d’eau.
- Fin de journée Quai des Chartrons pour le coucher de soleil sur la Garonne.
En soirée, laissez-vous tenter par un verre de Graves dans l’un des anciens entrepôts réhabilités. L’alliance du vin et de la pierre blonde incarne l’ADN local.
Je mesure à chaque reportage combien l’histoire de Bordeaux reste vivante dans ses pavés comme dans les débats contemporains. Demain, l’arrivée de la ligne à grande vitesse vers Toulouse, la montée des eaux ou l’essor du tourisme durable écriront de nouveaux chapitres. Restons curieux : derrière chaque mascaron sculpté, une anecdote guette. Et pourquoi ne pas prolonger cette exploration en découvrant l’évolution du vignoble bordelais ou les secrets du tramway moderne ?


