Logo LES PAVÉS BORDELAIS

par | 1 Sep 2025 à 00:09

Bordeaux, vingt siècles d’histoire façonnent le port de la lune

6,2 millions de pas ont résonné en 2023 sur les quais de la Garonne, mais combien ont vraiment entendu battre le cœur vieux de vingt siècles qui pulse sous les pavés ? Derrière les façades couleur miel, Bordeaux dissimule un récit d’audace, de commerce et de luttes où l’arôme du claret, le vacarme des canons et le bruissement des idées humanistes se mêlent encore. Oubliez la simple carte postale : suivez le fil d’une histoire tourmentée où la Lune se fait port, le vin devient empire, et des figures comme Aliénor d’Aquitaine, Michel de Montaigne ou Marie Brizard redessinent sans cesse la ville. Embarquez : chaque pierre s’apprête à vous livrer son secret et à éclairer le futur de la capitale girondine.
Temps de lecture : 4 minutes

Histoire de Bordeaux : en 2023, plus de 6,2 millions de visiteurs ont arpenté les quais de la Garonne, soit +8 % par rapport à 2022. Ce chiffre record confirme l’attrait mondial d’une ville dont le patrimoine couvre vingt siècles. Mais derrière les façades blondes se cache un récit tourmenté, façonné par les négoces, les guerres et les idées humanistes. Voici la chronologie, les femmes et les hommes qui ont forgé une cité aujourd’hui classée à 50 % au patrimoine mondial de l’UNESCO. Suivez-moi dans ce voyage éclairant où chaque pierre raconte une page de la capitale girondine.

Les racines médiévales de l’histoire de Bordeaux

Fondée par les Bituriges Vivisques vers 300 av. J.-C., Burdigala devient romaine en 56 av. J.-C. Dans l’Antiquité tardive, la cité, alors capitale de l’Aquitaine seconde, rayonne grâce au trafic de l’étain et du vin.

  • 276 : première mention d’un rempart gallo-romain long de 2 300 mètres.
  • 409 : invasion des Wisigoths, la ville perd sa prééminence administrative.
  • 1154 : mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri Plantagenêt ; Bordeaux bascule sous l’égide anglaise pour trois siècles.

Cette domination anglaise favorise deux révolutions silencieuses : la commercialisation massive du claret (ancêtre du bordeaux rouge actuel) et l’essor d’une bourgeoisie marchande. À titre personnel, je reste fasciné par la rapidité du changement : en moins de cinquante ans, les quais se métamorphosent en un port stratégique rivalisant avec Londres.

Pourquoi Bordeaux est-elle surnommée le Port de la Lune ?

La courbe en demi-lune du fleuve dessine un croissant presque parfait autour du centre historique. Dès le XVe siècle, les armateurs gravent ce croissant sur leurs pavillons, donnant naissance au surnom Port de la Lune. Mais derrière l’image poétique se cache une géographie calculée :

  1. Marées atlantiques importantes (jusqu’à 6 m), facilitant le chargement des navires.
  2. Encoche naturelle offrant un abri contre les tempêtes, rare sur la côte gasconne.
  3. Alignement des quais sur plus de 5 km, record européen au XVIIIe siècle.

En 2007, l’UNESCO cite explicitement cette « lune portuaire » pour justifier l’inscription de 1 810 hectares sur la Liste du patrimoine mondial.

Qu’est-ce que le Port de la Lune aujourd’hui ?

C’est un ensemble urbain restauré entre 1996 et 2020, piloté d’abord par le maire Alain Juppé. On y recense : 347 monuments protégés, 5 kilomètres de pistes cyclables et un trafic fluvial ayant quadruplé depuis 2015. D’un côté, la piétonisation améliore la qualité de vie ; de l’autre, certains riverains pointent une gentrification accélérée et une inflation immobilière de +31 % en cinq ans (chiffres Notaires 33, 2023).

Figures qui ont façonné la ville

Michel de Montaigne et l’humanisme

Élu maire en 1581, Montaigne incarne l’ouverture d’esprit bordelaise. Ses Essais circulent déjà à travers l’Europe tandis qu’il modernise la cité : création de la première fontaine publique et réglementation sanitaire contre la peste. Je me plais à rappeler que son emblématique tour, toujours visible au château de Montaigne (Saint-Michel-de-Montaigne), attire 45 000 visiteurs/an, preuve d’un lien durable entre l’auteur et la métropole.

Jacques Chaban-Delmas, bâtisseur de l’ère moderne

Après 1947, Chaban-Delmas impulse un urbanisme audacieux : pont d’Aquitaine (1967), université de Talence et première ceinture verte. Sa vision « ville-forêt » influence aujourd’hui le projet Bordeaux 2050, qui prévoit 1 000 hectares supplémentaires d’espaces verts.

Marie Brizard, pionnière industrielle

Veuve en 1755, elle fonde sa distillerie rue de La Seiglière. Son anisé devient le premier spiritueux bordelais exporté en Louisiane. Fait méconnu : l’entreprise emploie 44 % de femmes dès 1780, une avancée exceptionnelle pour l’époque.

Patrimoine vivant et transformations contemporaines

Architecture et paysages urbains

  • Place de la Bourse (1730-1775) : chef-d’œuvre classique de Jacques-Gabriel.
  • Grand Théâtre (1780) : salle à l’italienne de 1 114 places, applaudie par Victor Hugo.
  • Cité du Vin (2016) : 450 000 visiteurs en 2023, symbole de la reconversion industrielle.

À ma dernière visite, j’ai mesuré combien la pierre de taille blonde dialogue désormais avec le verre des façades contemporaines. D’un côté, une tradition façonnée par les tailleurs des Chartrons ; de l’autre, une innovation architecturale pensée par les agences Herzog & de Meuron (Cité du Vin) ou Brochet Lajus Pueyo (musée Mer Marine).

Économie du vin et héritage colonial

Le négoce viticole représente encore 48 % du trafic portuaire en 2023. Pourtant, les archives municipales rappellent que 5 % de ce trafic concernait au XVIIIe siècle le commerce triangulaire. La Ville de Bordeaux a apposé, en 2019, 54 plaques mémorielles pour reconnaître ce passé. Un geste attendu, mais parfois jugé insuffisant par les associations mémorielles.

Un patrimoine en chantier

Le pont Simone-Veil, mis en service partiel en juillet 2024, illustre le dilemme actuel : relier les deux rives tout en préservant les berges classées Natura 2000. Les ingénieurs ont opté pour une travée centrale de 524 mètres afin de ne toucher ni les vasières ni la migration des lamproies. Un compromis savant que je considère exemplaire.

Perspectives culturelles

Au-delà de l’urbanisme, la municipalité investit 18 millions d’euros en 2024 dans le site « Cap Sciences ». Objectif : porter à 600 000 visiteurs/an son exposition permanente sur l’estuaire. Ces chiffres confortent l’idée que la culture scientifique devient un moteur touristique aussi puissant que la gastronomie bordelaise ou le vignoble du Médoc.

Comment l’histoire de Bordeaux éclaire-t-elle son avenir ?

La mémoire collective constitue un levier stratégique. En identifiant ses strates – de Burdigala à la French Tech – la ville peut :

  • renforcer l’attractivité économique (start-ups greentech dans les anciens entrepôts du quai Deschamps)
  • diversifier le tourisme hors pic estival
  • sensibiliser aux risques climatiques liés à la montée des eaux (scénario +70 cm d’ici 2100 selon GIEC 2022)

Personnellement, j’observe que les débats publics restent trop focalisés sur l’immobilier. Or, l’érosion des berges ou la sauvegarde du bâti art nouveau méritent la même urgence.


Je vous invite désormais à flâner sur les pavés du Vieux Bordeaux, à pousser la porte d’un chai centenaire ou à contempler le coucher de soleil depuis le pont Jacques-Chaban-Delmas. Rien ne remplace l’expérience directe pour saisir l’âme d’une ville qui conjugue passé prestigieux et défis futurs. Partagez vos découvertes ; la conversation sur l’héritage bordelais ne fait que commencer.

gcope
Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture