Plonger dans l’histoire de Bordeaux : racines antiques, figures majeures et patrimoine vivant
L’histoire de Bordeaux fascine autant qu’elle attire : selon l’Observatoire du Tourisme Nouvelle-Aquitaine, la ville a accueilli 6,2 millions de visiteurs en 2023, soit +8 % par rapport à 2022. Pourtant, derrière la carte postale des quais rénovés se cache plus de deux mille ans d’épisodes parfois méconnus. Entre vestiges romains, essor du “Port de la Lune” et personnalités littéraires, le passé bordelais se lit comme un roman. Suivez le guide, chiffres à l’appui.
Des origines romaines aux fastes du XVIIIᵉ siècle
Fondée vers 56 av. J.-C. sous le nom de Burdigala, la cité bénéficie très tôt de sa position sur la Garonne. Les fouilles près du Palais Gallien ont confirmé la présence d’un amphithéâtre pouvant accueillir 22 000 spectateurs, un record pour la Gaule d’alors.
Après une période de déclin au haut Moyen Âge, Bordeaux reprend son souffle grâce au mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt en 1152. La ville devient anglaise pendant près de trois siècles : le commerce du vin, déjà célèbre, s’intensifie vers Londres et Bruges. En 1453, la bataille de Castillon met fin à la domination anglaise, mais le génie marchand perdure.
Le véritable âge d’or arrive au XVIIIᵉ siècle :
- 1730-1780 : construction de la place Royale (devenue place de la Bourse), chef-d’œuvre de l’architecte Ange-Jacques Gabriel.
- 1743 : inauguration du Gran Théâtre par Victor Louis, qui influence l’Opéra Garnier un siècle plus tard.
- 1777 : trafic fluvial record de 400 navires par an, faisant de Bordeaux le deuxième port du royaume après Marseille.
D’un côté, cette prospérité alimente l’urbanisme classique que l’UNESCO protège aujourd’hui ; mais de l’autre, elle repose en partie sur le commerce triangulaire, sujet encore sensible dans la mémoire locale.
Pourquoi le Port de la Lune a-t-il façonné l’identité bordelaise ?
Le “Port de la Lune” désigne la courbe en croissant de la Garonne autour de laquelle la ville s’est développée. Sa forme, reprise sur le blason municipal, symbolise l’ouverture maritime.
Qu’est-ce que le classement UNESCO de 2007 ?
En 2007, 1 810 hectares du centre historique sont inscrits au Patrimoine mondial. L’UNESCO salue :
- L’unité urbaine du XVIIIᵉ siècle la mieux conservée au monde.
- Plus de 347 monuments protégés, dont la Porte Cailhau et la Basilique Saint-Michel.
- Un plan d’eau maîtrisé reliant innovation et respect des quais anciens.
Depuis, la municipalité (Direction Générale de la Conservation) chiffre à 92 % le taux de façades restaurées dans le périmètre classé (donnée 2024). Ce label favorise les retombées économiques mais impose aussi des contraintes, notamment sur la rénovation énergétique des immeubles.
Impacts contemporains
• Hausse des loyers de +38 % entre 2015 et 2023 dans l’hyper-centre.
• Explosion des croisières : 54 escales fluviales en 2023 contre 11 en 2010.
• Débat écologique autour de la densité touristique, porté par l’association “Bordeaux Respire”.
Personnalités emblématiques : de Montaigne à Mauriac, qui a façonné la pensée bordelaise ?
Le passé bordelais est peuplé d’esprits brillants. Tour d’horizon non exhaustif.
Figures majeures
- Michel de Montaigne (1533-1592) : deux fois maire de Bordeaux, il rédige les célèbres “Essais” en son château de Saint-Michel-de-Montaigne. Sa statue domine la place des Quinconces.
- Montesquieu (1689-1755) : député de la sénéchaussée de Bordeaux, il définit la séparation des pouvoirs dans “De l’esprit des lois”.
- Aliénor d’Aquitaine (1122-1204) : son mariage fait basculer la ville dans l’orbite anglo-gasconne et dynamise la filière viticole.
- François Mauriac (1885-1970) : Prix Nobel de littérature 1952, chroniqueur à “Sud Ouest”, il immortalise le Médoc et les landes girondines dans “Thérèse Desqueyroux”.
- Jacques Chaban-Delmas (1915-2000) : maire durant 48 ans, bâtisseur du pont d’Aquitaine et promoteur du grand contournement routier.
Petite anecdote personnelle : j’ai interviewé, en 2019, la petite-fille de Chaban-Delmas dans l’ancien hôtel de ville. Sa mémoire des “années 1960, quand les quais étaient encore des friches”, illustre le bond urbain de ces dernières décennies.
Patrimoine classé et défis du XXIᵉ siècle
Bordeaux n’est pas figée dans l’ambre. Plusieurs projets interrogent l’équilibre entre sauvegarde et modernité.
Rénovations emblématiques en cours
• Cité du Vin (2016) : plus d’un million de visiteurs cumulés, démontrant la force d’un tourisme culturel lié à l’œnologie.
• Pont Simone-Veil : mis en service partiel en 2024, prévu pour absorber 30 000 véhicules/jour et encourager des mobilités douces grâce à une passerelle cyclable.
• Musée d’Aquitaine : nouveau parcours sur la traite négrière inauguré en février 2023, enrichi d’archives numérisées.
Enjeux à surveiller
- Gentrification du centre historique (quartiers Saint-Pierre, Chartrons).
- Adaptation aux risques climatiques : montée des eaux estimée à +60 cm d’ici 2100 selon Météo-France.
- Maillage avec la métropole : ligne D du tram prolongée jusqu’à Eysines en 2023, connectant les communes voisines au cœur patrimonial.
D’un côté, ces évolutions renforcent l’attractivité économique et culturelle ; mais de l’autre, elles interrogent la capacité de la ville à préserver son identité sans céder à la muséification.
Les pierres blondes de Bordeaux racontent plus qu’un simple décor. Elles chuchotent les victoires romaines, murmurent les discours humanistes de Montaigne et vibrent encore du fracas des navires du “Port de la Lune”. J’espère que cette exploration aura éveillé votre curiosité : lors de votre prochaine promenade quai des Chartrons ou au pied de la flèche Saint-Michel, tendez l’oreille aux échos du passé. L’aventure historique bordelaise ne demande qu’à se poursuivre, page après page, rue après rue.


