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par | 15 Août 2025 à 00:08

Bordeaux se réinvente: six quartiers entre histoire, flux et avenir

Le grondement sourd d’une bétonnière résonne sur les quais, tandis qu’au loin, les cloches de Pey-Berland ponctuent encore les heures comme au siècle dernier. Bordeaux vit un grand écart permanent : +2,5 % d’habitants en six ans, des grues dressées plus haut que les clochers, et pourtant la même pierre blonde qui flamboie au soleil de 18 h. Six secteurs, un foisonnement d’identités : du Bacalan marin au Caudéran feutré, chaque quartier joue sa partition dans cette symphonie urbaine. Derrière la carte postale, des chiffres têtus racontent une ville sous tension : 5 700 logements sortis de terre à La Bastide, 41 % de foyers aisés à Caudéran, 120 nationalités entassées autour de la flèche Saint-Michel. Où s’écrit la prochaine ligne du récit bordelais ? Suivez-moi, le plan cadastral à la main : Bordeaux dévoile ses coulisses.
Temps de lecture : 4 minutes

Quartiers de Bordeaux : plus de 260 000 habitants vivent aujourd’hui dans la capitale girondine, soit +2,5 % entre 2017 et 2023 selon l’Insee. Cette croissance démographique, l’une des plus fortes de France métropolitaine, redessine chaque rue, chaque place. Derrière les façades XVIIIᵉ, six grands secteurs urbains cachent des identités bien distinctes. Penchons-nous, cartes en main, sur ces fragments de ville qui façonnent le quotidien bordelais.

De la Bastide à Caudéran : panorama factuel des spécificités

Créé en 1791, La Bastide (rive droite) s’est longtemps résumée à des friches ferroviaires. Depuis 2010, les grues ont remplacé les locomotives : 5 700 logements neufs livrés, dont 32 % à vocation sociale. Le pont Jacques-Chaban-Delmas y a injecté un flux quotidien de 30 000 véhicules. Résultat : une population de 23 000 âmes, âgée en moyenne de 35 ans, profite désormais du tramway ligne A et de la Cité du Vin voisine.

À l’opposé, Caudéran joue l’anti-thèse. Annexé à Bordeaux en 1965, ce “Neuilly bordelais” aligne pavillons Art déco, écoles privées (Grand-Lebo et Assomption) et le poumon vert du parc Bordelais. En 2024, 41 % des foyers dépassent 50 000 € de revenus annuels, soit deux fois la moyenne municipale. Pourtant, les permis de construire y chutent : –18 % en un an, freinant l’arrivée de nouveaux habitants.

Entre ces extrêmes, Bacalan se réinvente. Ancien quartier portuaire, il accueille depuis 2022 le siège du CNRS Aquitaine et 2 000 m² de start-up dédiées à l’océanographie. Les entrepôts s’effacent, mais le passé reste visible : on aperçoit encore les rails d’embranchements portuaires rue Lucien-Faure.

Pourquoi Saint-Michel reste l’âme populaire de la ville ?

Saint-Michel ne ment pas : 55 % des logements datent d’avant 1949, d’où ces façades noircies par le temps. L’escalier tortueux de la flèche Saint-Michel, construit en 1472, rappelle la grandeur médiévale d’Aquitaine. Mais c’est le présent qui intrigue : 120 nationalités cohabitent dans moins de 80 hectares. Ici, le prix moyen du mètre carré atteint 4 500 € en 2024, quand le Triangle d’Or voisin dépasse 8 200 €. Le marché aux puces du samedi draine 10 000 visiteurs chaque semaine, un record régional.

D’un côté, les épiceries sénégalaises parfument la rue des Faures. De l’autre, les cafés “terroir-nature” attirent la génération télétravail. Cette friction crée de l’énergie et nourrit le tissu associatif (la Maison du Projet, Darwin Campus). Saint-Michel, c’est donc un laboratoire urbain : densité, mixité sociale et patrimoine classé se superposent sans plan guide.

Qu’est-ce que cela change pour l’investisseur ?

• Rendement locatif brut : 5 % en moyenne, supérieur à Caudéran (3,2 %).
• Risque travaux : élevé, 60 % des immeubles nécessitent une rénovation énergétique d’ici 2030.
• Demande locative étudiante : soutenue grâce à la proximité de Victoire et du campus Carreire.

Gentrification ou renaissance : le cas Nansouty

Nansouty n’a pas toujours été à la mode. En 1999, l’Insee y relevait un revenu médian inférieur de 12 % au reste de la ville. Vingt-cinq ans plus tard, les brunchs remplacent les boulangers-pâtissiers traditionnels. La station de tram B inaugurée en 2004 a servi de catalyseur : +34 % de transactions immobilières entre 2005 et 2020. Toutefois, la mairie de Bordeaux limite depuis 2023 les meublés touristiques à 120 jours/an dans le secteur, espérant contenir la flambée des loyers.

D’un côté, l’embellie économique profite aux artisans (céramistes, micro-torréfacteurs). Mais de l’autre, certains habitants historiques dénoncent « une perte d’âme ». Cette ambivalence reflète la tension bordelaise : attirer des talents sans sacrifier l’authenticité.

Témoignage

Je me souviens avoir couvert, pour Sud Ouest, la réouverture de la halle des Douves en 2016. Les habitants semblaient méfiants. Huit ans plus tard, ils y organisent ateliers de réparation vélo et marchés zéro déchet. Preuve que la gentrification peut accompagner, plutôt que remplacer, le tissu social.

Comment se repérer parmi les micro-quartiers ?

Pour faciliter vos recherches, voici un atlas express :

  • Chartrons : temples de l’export du vin au XVIIIᵉ, galeries d’art contemporaines aujourd’hui.
  • Grand Parc : barres des années 1960, 6 000 logements rénovés en BBC depuis 2018.
  • Victoire : cœur étudiant, desservi par deux lignes de tram et autotités nocturnes Les Bordeaux Métropole.
  • Gare Saint-Jean / Euratlantique : 738 000 m² de bureaux et logements programmés à l’horizon 2030.

Chaque entité possède un PLU (Plan local d’urbanisme) spécifique : zones UAb pour la densification, N pour les espaces verts protégés. Les permis comportent souvent une clause “brique bordelaise” pour respecter l’alignement patrimonial.

Focus mobilité

En 2024, 68 % des Bordelais déclarent utiliser au moins une fois par semaine le tramway, selon Keolis. La ligne C traverse huit quartiers en 35 minutes, un socle de cohésion urbaine. Les cyclistes disposent de 310 km de pistes, le double d’il y a dix ans. Cet écosystème de transport nourrit l’essor des micromobilités (trottinettes, vélos cargos), sujet connexe que nous traiterons prochainement.

Marché immobilier : chiffres clés et projections 2025

• Prix moyen tous quartiers confondus : 5 690 €/m² début 2024, +4,1 % sur un an.
• Part des acheteurs parisiens : 17 %, en légère baisse après 21 % en 2022.
• Vacance locative : 2,8 %, l’une des plus faibles des grandes métropoles.
• Objectif municipal : 6 000 logements abordables livrés d’ici 2026 (source : Direction Habitat Bordeaux Métropole).

La tension reste forte. Les investisseurs ciblent La Bastide pour son potentiel de rattrapage, les familles privilégient Caudéran pour ses écoles. Le pari ? Anticiper les extensions de tram E (phase d’études) et le futur RER Métropolitain, piloté par Alain Anziani, président de Bordeaux Métropole.

Et demain ?

Bordeaux cherche un équilibre. Entre attractivité internationale et préservation des identités de ses quartiers. La mairie teste la « ville apaisée » : zones 30 km/h généralisées, piétonnisation partielle de Sainte-Catherine et réduction des terrasses chauffées. Ces mesures divisent. Les commerçants de la place Pey Berland redoutent une baisse de passage, tandis que les riverains de Mériadeck saluent la baisse de bruit nocturne (–6 dB mesurés en mai 2024).

Les projets culturels se multiplient. Le musée de l’Histoire maritime doit ouvrir en 2027 dans un ancien hangar de Bacalan. Le festival Climax, lui, promeut chaque année une ville résiliente, mêlant concerts et conférences sur l’urbanisme durable (thématique voisine que nous explorons souvent).


Bordeaux change à vive allure ; ses quartiers se renouvellent sans renier leurs racines. Que vous soyez futur résident, investisseur ou simple flâneur, prenez le temps de traverser le pont de pierre au coucher du soleil : la ville dévoile alors ses strates, de la pierre blonde des Chartrons aux graffs colorés de Darwin. J’y trouve toujours un sujet inédit, et vous ? Partagez-moi votre expérience, la conversation ne fait que commencer.

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Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture