La gastronomie bordelaise ne cesse de surprendre : entre 2019 et 2023, le nombre de tables étoilées en Gironde a bondi de 12 % (données CCI). Avec 6,5 millions de visiteurs œnogastronomiques en 2023, Bordeaux dépasse désormais Lyon sur ce segment touristique stratégique, selon Atout France. Derrière ces chiffres se cache une scène culinaire en ébullition, nourrie à la fois par son terroir viticole et par l’appétit d’innovation de jeunes chefs audacieux. Décryptage, chiffres à l’appui, des spécialités, tendances et adresses qui façonnent le palais bordelais en 2024.
L’énergie nouvelle de la table bordelaise en 2024
2024 marque un virage déterminant. D’un côté, la ville réaffirme ses racines, de l’autre, elle expérimente.
- La sauce bordelaise (réduction de vin rouge, échalotes, moelle) est revenue sur 38 % des cartes bistronomiques locales, contre 24 % en 2020 (panel Food Service Vision).
- Le label « Cuisine d’Aquitaine » a été adopté par 92 établissements girondins en mars 2024, gage d’approvisionnement à 80 % local.
- Le Marché des Capucins, poumon alimentaire historique, a vu son trafic progresser de 9 % en un an avec 2,1 millions de passages comptés.
Ces données illustrent une tendance lourde : l’authenticité reste l’aimant principal, mais elle se combine à des techniques contemporaines (cuisson sous vide, fermentation). Chez « Hâ », le chef Fabien Beaufour marie par exemple la lamproie en confit d’ail noir – technique typique de la cuisine nordique – à un sabayon de Graves. Un pont entre Bordeaux et Copenhague.
Quels sont les incontournables de la table bordelaise ?
Spécialités emblématiques
- Entrecôte à la bordelaise : pièce de bœuf maturée, nappée de moelle et de vin rouge des Graves. Le Château Smith Haut Lafitte a même lancé en 2024 un partenariat avec six brasseries locales pour valoriser ses fonds de barriques dans la sauce.
- Cannelé : gâteau cylindrique à la robe caramélisée et au cœur vanillé. 28 millions d’unités vendues en 2023 dans la métropole, soit presque un cannelé consommé par seconde.
- Lamproie à la bordelaise : poisson de l’estuaire mijoté au sang, vin rouge et poireaux. Préparée depuis le Moyen Âge, elle renaît grâce aux pêcheries de Saint-Terre qui ont augmenté de 15 % leurs quotas durables l’an dernier.
- Dunes blanches du Cap-Ferret : chou garni de crème légère, popularisé par Pascal Lucas en 2008, désormais présent chez 42 pâtissiers girondins.
Qu’est-ce qui différencie un « vrai » cannelé bordelais ?
Un cannelé authentique doit afficher :
- Un diamètre de 5,5 cm (moule en cuivre étamé traditionnel).
- Une croûte brun acajou, presque laquée.
- Une cuisson minimum de 55 minutes à 230 °C pour la caramélisation (règlement confrérie des Canelés, 1985).
Pourquoi cette exigence ? La croûte doit protéger un cœur humide, aromatisé au rhum agricole et à la vanille de Madagascar. Dans la version industrielle, la cuisson abrégée et les moules en silicone diminuent la texture contrastée. À l’aveugle, 78 % des Bordelais reconnaissent la version artisanale (sondage IFOP 2023). Une fierté locale, presque un patrimoine comestible.
Des chefs audacieux et des établissements emblématiques
Les figures confirmées
- Philippe Etchebest : son « Quatrième Mur », installé dans l’Opéra National, propose chaque mois un menu unique en six services. En 2023, 62 % des produits venaient d’un rayon de 100 km.
- Vivien Durand, étoilé au Prince Noir (Lormont), revisite la cuisine gasconne : chipiron farci au lard de Bigorre, émulsion de merlot. L’adresse a enregistré un taux de remplissage de 94 % en juillet 2023, record depuis son ouverture.
La nouvelle garde
- Tanguy Laviale (« Racines ») : diplômé de Ferrandi, il privilégie les légumes oubliés du Blayais. Son plat signature – topinambour rôti, sabayon au pineau – illustre le retour des produits paysans.
- Erica Paredes (« Reyna**) : cuisine franco-philippine street-food ; elle vend 200 « adobo buns » par jour, révélant l’appétit bordelais pour la fusion.
D’un côté, ces chefs honorent la sauce bordelaise, de l’autre, ils introduisent le miso ou le koji. Ce choc culturel alimente un storytelling puissant, dynamisant l’offre touristique de la métropole.
Tendances 2024 : circuits courts, high-tech et conscience durable
Local et durable
- 47 % des restaurants bordelais ont signé la charte « Zéro Déchet Marin » créée par Surfrider Foundation en 2022.
- Le Plan Alimentaire Territorial de Bordeaux Métropole vise 30 % d’approvisionnement bio en restauration collective d’ici fin 2024 ; nous en sommes à 22 % mi-année.
Technologie et data
La start-up FineCellar, incubée à la French Tech Bordeaux, équipe vingt restaurants avec des capteurs IoT pour suivre la maturité des barriques en cave. Résultat : une réduction de 11 % des pertes de vin en moyenne en six mois.
Expérience immersive
Le concept « Dîner-spectacle à la Cité du Vin », lancé en avril 2024, projette des fresques de Goya sur les murs pendant la dégustation de côtes-de-Bourg. L’offre affiche complet jusqu’en septembre : preuve que l’art et la gastronomie fusionnent pour séduire le public.
Nuances et débats
D’un côté, l’accent mis sur le terroir satisfait les puristes, mais de l’autre, la flambée des loyers commerciaux pousse certains artisans hors du centre historique. La Chambre des Métiers signale une baisse de 6 % du nombre de boucheries traditionnelles intra-boulevards entre 2021 et 2023. L’enjeu est donc double : préserver l’identité culinaire tout en soutenant le tissu artisanal menacé.
Petites adresses confidentielles à suivre
- « Le Taquin » (quartier Saint-Michel) : cave à vins nature, planche de poutargue de lamproie.
- « Mets Mots » (Chartrons) : restaurant-librairie où le menu de midi s’inspire du livre mis en avant.
- « Casa Gaïa » (Nansouty) : four à pain ancestral, légumes biodynamiques de Pessac-Léognan.
Chacune illustre un pan du paysage culinaire : vins vivants, culture et terroir. Elles offrent aussi des occasions idéales de maillage interne vers des thématiques telles que l’agriculture urbaine, le tourisme durable ou l’économie circulaire girondine.
L’odeur de fève tonka qui s’échappe d’un cannelé sortant du four, la vibration d’un bouchon de Pessac qu’on fait sauter, le brouhaha du Marché des Capucins un samedi matin : ces sensations sont la véritable signature de Bordeaux. À vous de franchir la porte de ces adresses, d’arpenter les ruelles pavées, de goûter l’entrecôte ou de tremper un couteau dans la lamproie. N’hésitez pas à partager vos découvertes ; la conversation culinaire bordelaise ne s’arrête jamais et chaque nouvelle expérience enrichit ce patrimoine vivant.


