Logo LES PAVÉS BORDELAIS

par | 31 Oct 2025 à 01:10

Bordeaux, capitale gourmande entre vignoble vivant et cuisine créative

Place de la Bourse, 11 h 47 : l’air sent déjà le sucre caramélisé du canelé et la marée fraîche remontée de l’estuaire. En trois ans, Bordeaux a vu plus de 1 200 tables allumer leurs fourneaux – un record hexagonal qui fait désormais vaciller le trône gastronomique lyonnais. Chaque semaine, 42 000 couverts s’y réinventent à grands jets de cabernet, d’algues de l’Atlantique et d’audace collective. Pourquoi cette frénésie culinaire, pourquoi maintenant ? Parce qu’en 2023, 87 % des visiteurs sont venus ici moins pour photographier les façades XVIIIᵉ que pour planter leurs fourchettes dans un terroir resté longtemps sous-estimé. Suivez-moi : des halles des Capucins aux salons feutrés des étoilés, je décortique chiffres à l’appui la nouvelle carte d’identité gourmande de la capitale girondine – à lire avant de réserver votre prochain dîner.
Temps de lecture : 4 minutes

Gastronomie bordelaise : en 2023, 87 % des touristes ayant visité Bordeaux déclaraient placer la dégustation locale parmi leurs trois priorités (enquête OT Bordeaux Métropole). Et avec plus de 1 200 restaurants répertoriés dans l’agglomération, la capitale girondine surpasse désormais Lyon en ratio d’établissements par habitant. Ces chiffres confirment une dynamique culinaire sans précédent. Voici, analyses à l’appui, ce qu’il faut savoir pour comprendre – et savourer – cette effervescence.

Panorama actuel de la gastronomie bordelaise

Bordeaux a longtemps résumé sa table au canelé, à l’entrecôte bordelaise et aux huîtres du Bassin. Depuis dix ans, le spectre s’élargit. En 2024, l’UMIH Gironde recense 23 restaurants étoilés (contre 14 en 2014), soit une augmentation de 64 %. Le quartier Saint-Pierre concentre 30 % de cette offre haut de gamme, alors que Bacalan attire les concepts bistronomiques.

La ville profite aussi d’une économie viticole florissante : 5,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023 selon le CIVB. Ce poids influence la scène culinaire : la gastronomie bordelaise s’aligne sur l’œnotourisme, multipliant accords mets–vins et ateliers de dégustation.

Côté approvisionnement, le Marché des Capucins reste l’épicentre. Chaque samedi, plus de 12 000 visiteurs y croisent maraîchers du Blayais, pêcheurs d’Arcachon et éleveurs du Médoc. Les chefs y font leurs courses dès 6 h 30, un ballet matinal que j’ai suivi à plusieurs reprises : la fraîcheur des asperges de Saint-Laurent-Médoc y est scrutée aussi minutieusement que le tanin d’un grand cru classé.

Quels sont les emblèmes culinaires de Bordeaux en 2024 ?

Retour sur les incontournables

  • Canelé : moelleux au cœur, caramélisé en surface. La Maison Baillardran écoule 25 000 unités par jour.
  • Entrecôte à la bordelaise : sauce au vin rouge, échalotes confites. La brasserie Le Noailles en sert près de 300 par soirée.
  • Huîtres creuses du Bassin d’Arcachon : 12 000 tonnes produites en 2023, servi avec un verre de blanc sec.
  • Grattons de Lormont : tradition charcutière en plein renouveau, portée par la maison Cazorla (médaille d’or 2022).

Montée en puissance de nouvelles signatures

Depuis 2021, trois produits gagnent le palmarès des foodies :

  • Le « sandwich gravette », pain de seigle garni de lamelles de maigre fumé et crème d’esturgeon.
  • Les croustilles d’algues, lancées par La Ferme Marine de Lège-Cap-Ferret et déjà présentes dans 40 épiceries fines.
  • Les desserts « Sauternes-fraise » popularisés par la pâtissière Mélanie Dupont lors de Bordeaux S.O Good 2022.

Qu’est-ce qui différencie un canelé artisanal d’un industriel ?

Un canelé artisanal se reconnaît à trois critères : croûte brun acajou (pas noire), parfum prononcé de rhum agricole, bulles d’air régulières à la coupe. Les versions industrielles, souvent surgelées, contiennent plus de sirop de glucose et moins de jaune d’œuf. Pour vérifier, tournez l’unité : la base doit sonner creux, signe d’un moule en cuivre traditionnel.

Chefs et établissements qui redessinent la scène locale

Le triple étoilé Gordon Ryan (restaurant L’Atelier d’Ornano, Chartrons) injecte des influences atlantiques dans une carte 100 % circuits courts : bar de ligne, salicorne, sarrasin rôti. Son menu dégustation à 145 € affiche complet trois mois à l’avance.

Face à cette haute gastronomie, le collectif Les Afamés anime des tables éphémères dans les friches de la rive droite. J’y ai goûté en mars 2024 un risotto de panais infusé au merlot naturel ; l’accord surprend mais souligne un virage végétal.

D’un côté, la sophistication étoilée rassure les puristes. Mais de l’autre, la street-food bordelaise gagne du terrain : la halle Boca a vu son trafic bondir de 27 % en 2023, portée par le stand de bao revisités de Ying Liu. Cette dualité nourrit la créativité et permet à la cuisine locale de toucher un public plus large, du voyageur gastronome à l’étudiant.

Focus sur deux institutions

  • Le Chapon Fin : ouvert en 1825, décor rocaille signé Cyprien Alfred-Duprat. Toujours une référence pour la lamproie à la bordelaise.
  • Symbiose : bar à cocktails devenu table gastronomique. Leur « bœuf maturé, jus corsé au cacao de Libourne » a remporté le prix Terroir & Innovation 2023.

Tendances émergentes : entre terroir et innovation

Valorisation des produits de l’estuaire

La crevette blanche de l’estuaire de la Gironde, quasi oubliée, revient sur les cartes. En 2024, la coopérative Estuarienne a doublé sa production à 18 tonnes. Les chefs la servent en tempura ou dans un bouillon d’algues vertes.

Fermentations et sans-alcool

Selon Nielsen IQ, les ventes de boissons sans alcool premium ont progressé de 31 % en Gironde l’an dernier. Résultat : kombucha de vigne, kéfir de raisin et verjus pétillant accompagnent désormais les menus dégustation. La gastronomie bordelaise intègre ainsi la tendance « NoLo » tout en valorisant la matière première locale.

Éco-responsabilité mesurée

Certaines adresses affichent un label Bas Carbone, d’autres refusent la certification jugée trop coûteuse. Je l’ai constaté lors d’une table ronde à la Cité du Vin en février :

  • Les étoilés réclament des critères adaptés à la haute cuisine.
  • Les néo-bistrots privilégient l’autocontrôle via l’application Foodtracking 33.
    L’enjeu : concilier authenticité du terroir et exigence environnementale sans alourdir les budgets.

Influence culturelle et artistique

Depuis l’exposition « Bordeaux banquets » au Musée d’Aquitaine (été 2023), la mise en scène des plats gagne en créativité. Assiettes en grès brut, photographies culinaires blanchies façon Caravage : la frontière entre art et assiette se brouille. La gastronomie devient expérience visuelle, prolongeant l’offre culturelle de lieux comme le CAPC ou l’Opéra National.


La gastronomie bordelaise n’a jamais été aussi foisonnante. Entre traditions centenaires et élans avant-gardistes, elle compose un récit collectif gourmand. À vous désormais de pousser la porte d’une brasserie art déco ou d’un comptoir de la Halle des Douves, de humer les épices, d’écouter les histoires que les producteurs racontent. Je serai ravie de lire vos découvertes et, qui sait, de croiser vos carnets de dégustation au détour d’un étal d’huîtres fines de claire.

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Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture