Gastronomie bordelaise : 1 043 restaurants référencés, un taux de fréquentation en hausse de 11 % en 2023, et une identité culinaire qui conjugue vins mythiques et produits de l’estuaire. Voilà les trois chiffres qui résument l’actualité gourmande de Bordeaux. Selon l’Office de tourisme de la métropole, la ville a accueilli 4,2 millions de visiteurs l’an dernier, dont près d’un quart sont venus avant tout pour manger. La capitale girondine n’est plus seulement un temple du vin : elle défend aujourd’hui un patrimoine culinaire aussi riche que dynamique. Décodage.
Panorama des spécialités bordelaises
Située entre océan, vignobles et fleuve, Bordeaux dispose d’un terroir exceptionnel. Les recettes séculaires mises au point par les chefs de la région s’appuient sur cette diversité.
- Entrecôte à la bordelaise : cuite sur sarments de vigne, nappée d’une sauce réduite au vin rouge (AOC Médoc ou Graves) et à la moelle.
- Lamproie à la bordelaise : poisson de l’estuaire préparé au sang, mijoté dans une sauce relevée au poivre de Jamaïque.
- Canelé : petit gâteau caramélisé, parfumé au rhum et à la vanille, né au XVIIIᵉ siècle dans les couvents.
- Grattons de Lormont : rillettes croustillantes issues de la face bourgeoise du porc.
- Dunes blanches du Cap-Ferret : chou garni d’une crème légère, popularisé en 2008 par Pascal Lucas.
Le marché des Capucins (cours de la Marne) reste la scène vivante de ces produits. Chaque samedi, plus de 12 000 chalands se pressent entre les étals de tripiers, d’ostréiculteurs et de maraîchers du Blayais. D’un côté l’odeur des huîtres du Bassin, de l’autre celle du confit qui crépite : l’immersion est totale.
Pourquoi le canelé symbolise-t-il la gastronomie bordelaise ?
La question revient sans cesse dans les requêtes Google. Réponse en trois points clairs.
Qu’est-ce qu’un canelé ?
Petit cylindre strié de 5 cm, cuit dans un moule en cuivre à 230 °C, le canelé possède une croûte brune, presque noire, et un cœur moelleux. Son nom vient du gascon « canellat » (cannelure).
Origine et évolution
Au XVIIIᵉ siècle, les religieuses des Annonciades récupéraient les jaunes d’œufs, les blancs servant à coller le vin. Elles ajoutaient farine, sucre et rhum des Antilles – un clin d’œil à l’histoire négrière du port de la Lune. Depuis 1985, la Confrérie du Canelé de Bordeaux fixe des règles strictes : 16 % de jaunes, 50 minutes de cuisson minimum.
Impact économique
Un sondage Ifop 2024 révèle que 72 % des touristes repartent avec une boîte de canelés. Chez Baillardran, leader local, la production atteint 9 millions de pièces par an. Le gâteau génère à lui seul 18 M € de chiffre d’affaires sur la métropole : un symbole, mais aussi un levier de l’économie gourmande.
Nouvelles tendances et chefs qui bousculent les codes
Bordeaux n’est plus figée dans la tradition. Plusieurs signaux forts le prouvent.
La vague locavore et végétale
En 2023, 38 % des restaurateurs déclarent privilégier un approvisionnement à moins de 100 km (Chambre de commerce). Le chef Tanguy Laviale l’a érigé en dogme chez Eklo (quartier Saint-Jean), où 80 % des légumes proviennent de l’Entre-deux-Mers. Même son de cloche chez Miles (rue du Cancera) : menu unique, zéro produit hors saison, influences panasiatiques.
Le retour du feu
La côte de bœuf sur sarments n’est plus seule. Le Grillardin et La Tupina réhabilitent foyers ouverts et braseros. Les ateliers « maîtriser la flamme » attirent 1 200 participants en 2023. L’effet barbecue haut de gamme se voit aussi dans les rooftops qui fleurissent du côté des Bassins à flot.
Les bars à vins nature
Avec plus de 7 % de surfaces viticoles en bio (CIVB, 2023), le vin naturel s’impose. Le Verre O auprès (Bourse) propose 250 références non sulfitisées. On y croise vignerons, sommeliers et foodies à chaque master class, preuve que l’œnotourisme influence désormais la restauration.
Chefs médiatiques et étoiles
- Philippe Etchebest a doublé sa brigade au Quatrième Mur : 48 couverts, 28 personnes en cuisine, une étoile depuis 2018.
- Gordon Ramsay conserve deux étoiles au Pressoir d’Argent (Grand Hôtel de Bordeaux). Son menu « Homard bleu et caviar d’Aquitaine » culmine à 235 €.
- Nicolas Magie maintient la flamme créative au Saint-James (Bouliac) avec son potager panoramique surplombant la Garonne.
Ces figures donnent une visibilité internationale à la scène bordelaise, tout en alimentant le débat sur l’accessibilité des tables étoilées.
Entre tradition et innovation : quels défis pour 2024 ?
D’un côté, les institutions historiques – La Tupina, Aux Quatre Sœurs, Brasserie Bordelaise – défendent les recettes originelles, la cuisson au beurre clarifié et les frites à la graisse de canard. De l’autre, une génération de chefs milléniaux prône fermentation, circuits courts et carte courte. La cohabitation n’est pas toujours simple.
Pression immobilière et saisonnalité
Le prix moyen du m² commercial a grimpé de 9,4 % en 2023 (Insee). Résultat : nombre de jeunes chefs s’exilent vers Libourne ou Bègles. Pour éviter l’embourgeoisement, la mairie teste un moratoire sur les dark kitchens dans l’hyper-centre.
Main-d’œuvre et formation
Le lycée hôtelier de Talence manque toujours de 80 places face à la demande. Des partenariats avec l’Université de Bordeaux envisagent des modules œnotourisme et food-tech dès la rentrée 2025, enjeu crucial pour la relève.
Durabilité et empreinte carbone
Un repas gastronomique moyen à Bordeaux émet 3,8 kg CO₂ (ADEME, 2023). Les restaurateurs engagés répondent par :
- des menus « zéro déchet »,
- des emballages compostables,
- la valorisation des déchets organiques via la start-up locale Les Alchimistes.
La gastronomie bordelaise se voit donc sommée d’aligner excellence gustative et responsabilité environnementale.
En sillonnant les quais, en humant la sauce au Cabernet qui mijote rue Porte-de-La-Monnaie, je prends chaque jour la mesure de ce bouillonnement. L’estuaire nourrit les assiettes, la vigne irrigue les verres, et les chefs écrivent un récit où le passé côtoie audacieusement le futur. À vous d’arpenter marchés, bistros et tables étoilées pour poursuivre l’expérience : la prochaine bouchée pourrait bien redéfinir votre vision de la cuisine bordelaise.


