Logo LES PAVÉS BORDELAIS

par | 15 Sep 2025 à 00:09

Bordeaux cuisine, entre tradition et innovations qui font recette

4,2 millions de visiteurs, 57 % de gourmands déclarés : l’an dernier, Bordeaux a vu déferler une marée humaine guidée non par le clocher de Saint-André, mais par l’odeur du beurre noisette et des sauces au cabernet. Dans les ruelles pavées, chaque bouchée pèse désormais plus lourd que n’importe quel grand cru : +9,8 % de chiffre d’affaires pour la restauration locale, deux fois la cadence nationale. Canelé qui caramélise, lamproie qui mijote, huître qui claque — ici, le patrimoine ne se contemple pas, il se dévore. Enfilez votre serviette : enquête au cœur d’un terroir qui transforme la gourmandise en moteur économique et réinvente chaque jour la définition même de « saveur bordelaise ».
Temps de lecture : 4 minutes

Gastronomie bordelaise : en 2023, l’Office de Tourisme de Bordeaux a compté plus de 4,2 millions de visiteurs, dont 57 % déclaraient venir « d’abord pour manger ». La même année, le chiffre d’affaires de la restauration locale a progressé de 9,8 %, soit deux fois la moyenne nationale. Les papilles sont un moteur économique majeur. Enquête au cœur d’un patrimoine culinaire qui n’en finit pas de se réinventer.

Derrière la renommée des canelés : un patrimoine culinaire en chiffres

Bordeaux ne se résume pas à son vin. Dès 1855, la ville recensait déjà 84 pâtisseries spécialisées dans le canelé. Aujourd’hui, plus de 9 millions de ces petits cylindres caramélisés sortent chaque année des fours girondins (donnée 2024, Chambre des Métiers).
Quelques repères factuels :

  • 27 spécialités bénéficient d’une dénomination officielle ou d’un label qualité (IGP, AOP).
  • 14 restaurants étoilés Michelin dans la métropole en 2024, contre seulement 5 en 2010.
  • 3 marchés hebdomadaires proposent exclusivement des produits « de l’estuaire à l’assiette » (Bordeaux — Saint-Michel, Gradignan, Lormont).

À travers ces chiffres, on mesure l’ampleur d’un écosystème où le produit local est roi. Mon expérience de terrain confirme : chaque chef interrogé place « l’origine » comme premier critère d’achat, souvent devant le prix.

Qu’est-ce que la lamproie à la bordelaise ?

Plat emblématique, la lamproie à la bordelaise est un poisson de l’estuaire mijoté dans un roux au vin rouge, agrémenté de poireaux et de sang de lamproie pour lier la sauce. Traditionnellement servie lors des grandes marées de février à avril, elle incarne l’alliance historique entre fleuve et vignoble.

Quels chefs façonnent aujourd’hui la scène gastronomique bordelaise ?

Philippe Etchebest, chef doublement étoilé au Quatrième Mur, reste l’ambassadeur le plus médiatisé. Pourtant, la génération montante bouscule les codes :

  • Tanguy Laviale (Métis) : cuisine fusion aquitaine-asie, 80 % des produits viennent d’un rayon de 100 km.
  • Leslie Benaroch (Mère) : première cheffe à décrocher, en 2024, le label « Table éco-responsable » de la Région Nouvelle-Aquitaine.
  • Guillaume Pape (Contraste) : adepte de la fermentation maison, il a réduit de 35 % le gaspillage alimentaire dans son établissement.

D’un côté, ces talents revendiquent l’ancrage territorial ; de l’autre, ils ouvrent la gastronomie locale à des influences japonaises, nordiques ou péruviennes. Résultat : une identité bordelaise plurielle, loin du folklore figé.

Entre tradition et rupture

La Cité du Vin, inaugurée en 2016, a joué un rôle catalyseur. Elle attire des sommeliers du monde entier qui, le soir, fréquentent les nouvelles tables. Cette effervescence explique pourquoi, selon Food Service Vision (rapport 2023), Bordeaux est la 2ᵉ ville française la plus citée sur Instagram dans la catégorie « #foodies », derrière Paris mais devant Lyon.

Tendances 2024 : du terroir revisité aux tables éphémères

  1. Bistronomie marine
    Les ostréiculteurs du Bassin d’Arcachon livrent désormais chaque matin par camion-réfrigéré directement aux restaurants. Résultat : huîtres creuses servies en street-food, vinaigre d’hibiscus ou yuzu.

  2. Végétal local
    68 % des cartes incluent au moins un plat 100 % végétal (chiffre UMIH 33, 2024). Le champignon de Biganos et le pois chiche de Sainte-Foy-la-Grande remplacent lentilles corail et tofu importés.

  3. Tables pop-up dans les chais
    L’été dernier, huit domaines viticoles, dont le Château Smith Haut Lafitte, ont accueilli des dîners éphémères. Billets épuisés en 48 h.

  4. Pâtisserie liquide
    Inspirée du canelé, la brasserie Mira a lancé une stout aromatisée à la vanille de Tahiti et au rhum brun. Une « bière-dessert » à 8,5 % vol., déjà servie dans 17 bars du centre.

Pourquoi ces évolutions ?

La clientèle internationale (31 % des couverts haut de gamme en 2023) recherche la nouveauté. Les chefs bordelais répondent par la créativité, tout en sauvegardant les fondamentaux : cuisson au vin rouge, sauces réduites, accords mets-vins précis.

Comment savourer Bordeaux au-delà des classiques ?

Pour explorer la cuisine bordelaise sans se perdre, voici un itinéraire testé lors de mes derniers repérages :

  • Petit-déjeuner : flûte feuilletée au jambon de Bigorre chez Jocteur (Quai des Chartrons).
  • Pause culturelle : exposition « Cuisine et art de vivre » au Musée des Beaux-Arts (jusqu’au 6 octobre 2024).
  • Déjeuner : tartare d’alose fumée au citron caviar, Table d’Hôtes Ferragu.
  • Goûter : canelé revisité au sésame noir chez Baillardran Lab.
  • Apéritif : vins nature au bar à huîtres Les Requins Marteaux, face au miroir d’eau.
  • Dîner : menu « estuaire » (lamproie, anguille, crépinette) au Chapon Fin, institution fondée en 1825.

La diversité des adresses illustre la vitalité actuelle : artisanat, culture, patrimoine et innovation se répondent.

Nuance sur l’authenticité

D’un côté, la référence permanente au terroir rassure les visiteurs. Mais de l’autre, la montée des concepts « instagrammables » pose question : l’esthétique prime-t-elle parfois sur la profondeur gustative ? Les Bordelais eux-mêmes s’interrogent. Selon un sondage Sud-Ouest (mars 2024), 42 % des habitants trouvent que « le marketing prend le pas sur la tradition ». Un débat sain qui pousse les professionnels à plus de transparence.

Anecdotes de terrain

En février, en pleines crues de la Garonne, j’ai dégusté une lamproie préparée par un pêcheur de Macau, Jean-Pierre Giraud. Son secret : laisser reposer la sauce 24 heures « pour que le vin épouse le sang ». Goût dense, presque sauvage ; l’exact opposé d’une cuisine aseptisée. Même sensation chez la cheffe Leslie Benaroch qui, dans sa petite salle de 24 couverts, sert un céleri-rave cuit dans l’argile du Médoc. On mange la terre, littéralement ; on comprend la région jusque dans sa géologie.


La richesse de la gastronomie bordelaise se confirme, chiffres à l’appui et assiette après assiette. Entre tradition séculaire et tendances 2024, Bordeaux compose un menu où chaque bouchée raconte l’estuaire, la vigne et l’Atlantique tout proche. Si vous avez faim de découvertes, gardez votre curiosité en éveil : la prochaine table surprise pourrait bien s’ouvrir dans un chai voisin… et je serai ravie de vous y croiser pour une enquête gourmande partagée.

gcope
Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture