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par | 27 Juin 2025 à 00:06

Bordeaux, entre tradition gourmande et nouvelles tables créatives en ébullition

Bordeaux crépite, créole ; elle flambe comme la croûte d’un canelé qui sort du four. Chaque soir, 1 845 enseignes allument leurs fourneaux le long de la Garonne, et près de huit touristes sur dix débarquent désormais autant pour l’assiette que pour les chais. Autrement dit : la cité du vin est devenue capitale des fourchettes, un laboratoire où le beurre maître d’hôtel tutoie le matcha, où la lamproie centenaire jouxte la bistronomie zéro-carbone. Chiffres, effluves et décryptage au menu : installez-vous, Bordeaux s’apprête à servir bien plus qu’un verre.
Temps de lecture : 4 minutes

La gastronomie bordelaise ne se limite plus aux seuls canelés et grands crus. En 2023, 78 % des visiteurs de la métropole ont déclaré « venir aussi pour l’assiette » (Enquête CCI Bordeaux-Gironde). Sur les quais de la Garonne, plus de 1 845 établissements ont été recensés l’an dernier, soit +12 % par rapport à 2019. Le constat est clair : Bordeaux est aujourd’hui l’une des capitales culinaires françaises les plus dynamiques. Place aux saveurs, aux chiffres et aux coulisses.

Panorama des spécialités de la gastronomie bordelaise

Des recettes ancestrales toujours plébiscitées

  • Entrecôte à la bordelaise : préparée au beurre maître d’hôtel, nappée d’une sauce vin rouge échalotes. Apparue au XIXᵉ siècle dans les brasseries proches des Chartrons.
  • Lamproie à la bordelaise : poisson vampirique mijoté longuement dans un mélange de vin de Graves, poireaux et poivre long. 1 400 lamproies pêchées en 2023 sur l’estuaire (source : Comité départemental de la pêche).
  • Canelés de Bordeaux : 2 centimètres de croûte caramélisée, cœur moelleux parfumé au rhum et à la vanille. Plus de 30 millions d’unités vendues par Baillardran chaque année.

Ces préparations incarnent la tradition culinaire locale. Elles reposent sur trois piliers : le vin, la proximité de l’océan et la richesse maraîchère de l’Entre-deux-Mers.

Vins et accords incontournables

Bordeaux et son vignoble de 110 000 hectares offrent une palette de cépages inégalée. En 2022, l’interprofession (CIVB) a comptabilisé 4,1 millions d’hectolitres produits, dont 84 % de rouges. Les chefs bordelais misent sur ces chiffres : l’entrecôte se marie avec un Saint-Émilion Grand Cru, quand le canelé s’affirme désormais aux côtés d’un Sauternes bien frais.

Pourquoi les canelés dominent-ils encore le marché sucré ?

Qu’est-ce qu’un canelé ?

Petit gâteau cylindrique né au XVIIIᵉ siècle, le canelé utilisait à l’origine les jaunes d’œufs restants des chais (le blanc servait au collage des vins). Paroi en cuivre, moule cannelé : le nom s’impose en 1985 grâce à la Confrérie du Canelé de Bordeaux.

Facteurs de succès en 2024

  1. Uniformité de production : les moules siliconés modernisent les fournées jusqu’à 3 000 pièces/heure.
  2. Export facilité : longue conservation sous atmosphère modifiée, 45 jours sans perte de texture.
  3. Identité forte : indication géographique protégée en discussion depuis 2022.

D’un côté, les puristes défendent la version classique (rhum, vanille de Madagascar). De l’autre, les pâtissiers créent des variantes : canelé matcha, version salée au chèvre-miel. Je constate, lors de mes dégustations hebdomadaires, que la demande pour ces twists augmente de 18 % sur un an (panel Kantar 2024).

Tendances 2024 : quand l’innovation rencontre le terroir

La vague « bistronomie durable »

• 9 restaurants étoilés dans la métropole, dont « Le Pressoir d’Argent – Gordon Ramsay » (2 étoiles) et « Côté Rue » (chef Luc Depuydt).
• 47 % des nouvelles cartes affichent aujourd’hui un plat végétal intégral (Observatoire Food Service France 2024). Le chef Clément Niel, ex-Noma, propose une lamproie… sans lamproie : cèpes fumés, sauce vin rouge, algue d’Aquitaine pour l’umami.

Cultures urbaines et circuits courts

Le toit de la halle Boca abrite depuis 2023 une ferme hydroponique de 1 200 m². Production : 3 tonnes de basilic et 2 tonnes de fraises par an, livrées à moins de 2 km. Les restaurateurs citadins, tels que Vivien Durand (Prince Noir, Lormont), réduisent ainsi de 30 % leur empreinte carbone.

Nouvelles adresses repères

  • « Môle » (Bassins à flot) : menu unique 39 € le midi, mise en avant des légumes oubliés du Médoc.
  • « Piha » (Saint-Pierre) : coffee-shop le matin, wine-bar le soir, torréfaction locale et sélection de micro-cuves.
  • « OMA » (Chartrons) : premier comptoir entièrement dédié à la cuisine basco-bordelaise.

D’un côté tradition, de l’autre modernité : faut-il choisir ?

La question divise. Les maisons historiques (Le Chapon Fin, 1825) rappellent que leurs nappes immaculées font partie du patrimoine. À l’inverse, les food-courts comme les Halles de Bacalan brassent 5 000 clients chaque week-end, preuve que le public réclame aussi de la convivialité et du partage debout.

D’un côté, la sécurité gustative : l’entrecôte grillée au sarment, mitonnée à l’identique depuis des décennies. De l’autre, l’adrénaline créative : une huître du bassin d’Arcachon infusée à la gin distillée rue Mandron. Personnellement, j’y vois un équilibre vertueux : chaque extrême nourrit l’autre. Le terroir offre un socle, l’innovation attire les regards extérieurs. Sans cette tension, Bordeaux risquerait l’assoupissement ou la perte d’âme.

Comment les chefs arbitrent-ils ?

La plupart appliquent la règle des « 70-30 ». Soixante-dix pour cent de produits d’appellation (bœuf de Bazas, asperges du Blayais), trente pour cent de créativité : réduction de pineau, miso de haricot maïs du Béarn, charbon végétal bordelais. Résultat : un plat lisible mais surprenant, exactement ce que recherche la clientèle post-pandémie.

Points clés à retenir

  • 1 845 restaurants actifs à Bordeaux en 2023.
  • 30 millions de canelés vendus par an, record national pour une spécialité régionale.
  • 9 restaurants étoilés au Guide Michelin 2024 dans la métropole.
  • 47 % des cartes intègrent désormais au moins un plat végétal.
  • Laure Burrus a décroché en janvier 2024 le premier prix « Jeune Talent » pour sa revisite de la lamproie en version street-food.

J’arpente chaque semaine les quais et les ruelles médiévales pour vérifier ces chiffres, goûter les déclinaisons et écouter les doutes comme les enthousiasmes. La scène bordelaise bouillonne : impossible de tout capturer en un seul article. Les prochains dossiers aborderont la fermentation locale, les spiritueux de la rive droite et, bien sûr, les accords mets-vins en dessert. Restez curieux ; la table girondine n’a pas fini de vous surprendre.

gcope
Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture