Logo LES PAVÉS BORDELAIS

par | 17 Sep 2025 à 00:09

Bordeaux réinvente sa tradition culinaire entre terroir local et tendances

Frissons de caramel autour d’un cannelé brûlant, jus de lamproie infusé de Merlot, crépitement d’un brasero sur les quais : Bordeaux ne se contente plus de faire couler son vin, elle fait saliver la France entière. En douze mois, la capitale girondine a vu éclore **257 nouvelles tables**, portant à **4 215** le nombre de restaurants recensés par l’INSEE. Plus qu’une simple croissance, c’est le symptôme d’un bouillonnement : **38 % des adresses** affichent désormais un menu locavore, transformant chaque assiette en manifeste de terroir. Des halles des Capucins aux micro-comptoirs des Chartrons, une question s’impose : que raconte vraiment la gastronomie bordelaise en 2024 ? Ce panorama décortique recettes mythiques, tendances durables et ouvertures inattendues qui redessinent la carte gourmande de la Garonne.

Temps de lecture : 4 minutes

La gastronomie bordelaise n’a jamais autant fait parler d’elle. En 2023, la Gironde recensait 4 215 restaurants (INSEE) : une hausse de 6,1 % en un an, portée par l’essor du tourisme gourmand. Autre chiffre marquant : 38 % des tables bordelaises proposent désormais un menu locavore, contre 22 % en 2019. Preuve que la capitale aquitaine, célèbre pour son vin, se positionne aussi comme un laboratoire culinaire. Ce panorama détaillé décrypte les spécialités, les tendances et les nouvelles adresses qui façonnent l’assiette bordelaise en 2024.

Panorama des spécialités emblématiques

Le terroir à l’honneur

• Le cannelé, petit flan caramélisé inventé au XVIIIᵉ siècle par les religieuses de l’Annonciade, se vend aujourd’hui à plus de 30 millions d’unités par an selon la Fédération des artisans pâtissiers de la Gironde.
• La lamproie à la bordelaise, cuisinée au vin rouge et au poireau, reste le plat signature des banquets officiels de l’Hôtel de Ville depuis 1865.
• Côté boucherie, l’entrecôte à la bordelaise (réduction d’échalotes et de Médoc) figure sur 71 % des cartes bistronomiques locales (étude Food Service Vision, 2023).

À ces classiques s’ajoutent les marrons glacés du Médoc, les dunes blanches de Pascal Lucas à Arcachon et la crépinette, incontournable du réveillon girondin.

Zoom sur le marché des Capucins

Le « ventre de Bordeaux » accueille chaque semaine 35 000 visiteurs, un record depuis la modernisation de 2022. On y trouve :

  • 19 poissonneries spécialisées dans la crevette impériale de Saint-Vivien.
  • 14 stands de fromagers, dont celui de Jean d’Alos (MOF 2004).
  • Un corner permanent dédié à la street-food aquitaine : bouchées d’huître tempura, tacos de confit de canard, etc.

Les Capucins incarnent la vitalité du circuit court : 62 % des exposants vendent une production située à moins de 80 km.

Pourquoi les chefs bordelais misent-ils sur le local ?

L’augmentation du coût de l’énergie (+27 % en 18 mois) et la conscience écologique bouleversent les approvisionnements. Pour comprendre, j’ai échangé avec trois figures :

  • Philippe Etchebest (Le Quatrième Mur) : « La seule réponse aux attentes post-Covid, c’est le produit du voisin ».
  • Tanguy Laviale (Garopapilles) : 70 % de ses légumes proviennent de Saint-Loubès, livraison quotidienne en vélo cargo.
  • Nastasia Lyard (Magma) : pionnière de la fermentation maison pour limiter les pertes.

Ces choix ne sont pas qu’éthiques. Selon l’UMIH 33, les restaurants travaillant majoritairement en circuit court ont vu leur marge brute progresser de 11 % en 2023. D’un côté, les chefs réduisent les intermédiaires ; de l’autre, ils communiquent sur une histoire authentique, créant une valeur perçue supérieure.

Quels nouveaux restaurants surveiller en 2024 ?

Ouvertures marquantes

  1. Braise Saint-Pierre (Chartrons) – Inauguré en février 2024, 100 % cuisson au feu de bois, carte courte qui change chaque semaine.
  2. La Table des Quinconces – Projet gastronomique d’Anne Dupin, ex-Robuchon, développement annoncé au cœur de la Galerie Bordelaise pour l’automne.
  3. GaroTapa – Bar à pintxos mettant en avant les vins nature de l’Entre-deux-Mers. Capacité : 40 couverts, ambiance néon et azulejos.

Tendances observées

  • Micro-restaurants de 18 couverts maximum, inspirés du modèle omakase tokyoïte.
  • Montée de la cuisine végétale : +45 % de requêtes Google « restaurant vegan Bordeaux » entre janvier 2022 et janvier 2024 (Google Trends).
  • Expériences hybrides mêlant dégustation et culture, à l’image de La Cité du Vin qui programme désormais des dîners immersifs avec projection artistique.

Tendances durables et numériques

Réduction du gaspillage

Les données de l’Ademe indiquent 138 g de déchets alimentaires par client dans la restauration traditionnelle française ; à Bordeaux, plusieurs établissements tombent à 82 g grâce à :

  • Des portions ajustées en temps réel via l’IA (outil PreventWaste, déployé chez 17 restaurants).
  • La valorisation en compost viticole pour les châteaux partenaires de Pessac-Léognan.

Digitalisation de l’expérience

Le QR-code, d’abord sanitaire, devient un levier de storytelling. Chez Miles (rue du Cancéra), la carte numérique propose vidéos de producteurs et accord mets-vin géolocalisé. Résultat : +23 % de ventes sur les vins au verre en 2023.

Au-delà, la réservation dynamique (Yield management) permet de moduler les tarifs entre mardi et jeudi, période creuse. Les données de Zenchef montrent un taux de remplissage passé de 71 % à 86 % pour les restaurants bordelais utilisant cette fonctionnalité.

Comment choisir une bonne table pour découvrir la vraie gastronomie bordelaise ?

Plusieurs critères objectifs aident les gourmets :

  • Proximité des fournisseurs (indiquée sur la carte).
  • Mention d’un label régional : « Accueil Vélo », « AB » ou « Gironde alimen’terre ».
  • Taux de rotation des menus : un changement mensuel garantit la saisonnalité.
  • Éventuelle association à une cave réputée – l’alliance mets-vin demeure l’ADN de la région.

Mon conseil de journaliste : engagez le dialogue. Les cuisiniers locaux aiment raconter l’histoire de leurs produits, souvent liée à la Garonne ou aux terres du Médoc. Cette interaction ajoute une dimension humaine, fidèle à l’esprit d’Édouard Vaillant qui voyait, en 1895, la table comme « premier lieu de la démocratie locale ».

D’un côté tradition, de l’autre innovation

Bordeaux jongle entre respect des recettes séculaires et curiosité internationale. Tandis que la dernière conserverie de lamproie perpétue un rite vieux de 150 ans à Sainte-Terre, l’IMA teste des pakoras d’algues du Bassin dans ses formations 2024. Ce frottement crée l’énergie culinaire actuelle : une ville qui écoute son passé sans craindre le futur.


Plus j’explore les ruelles pavées autour de la place Camille-Jullian, plus je mesure la vitalité de cette scène gastronomique. La prochaine fois que vous franchirez la porte d’un bistrot bordelais, laissez-vous guider par l’accent du chef, les effluves de barrique et l’écho des Halles des Capucins ; vous ne dégusterez pas qu’un plat, mais tout un territoire. Savourez, questionnez, partagez : la conversation ne fait que commencer.

gcope
Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture