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par | 25 Sep 2025 à 00:09

Bordeaux réinvente son terroir: révolution gourmande entre tradition et audace

On croyait Bordeaux abonnée à l’entêtant parfum des chais ; c’est désormais la vapeur d’une lamproie au vin rouge et le croustillant d’un cannelé sortant du four qui font vibrer les quais. En un an, la part de visiteurs venus d’abord « pour la table » a bondi à 43 % : un séisme culinaire qui bouscule trois siècles d’hégémonie viticole. Entre grattons servis à l’apéro et entrecôte nappée d’un jus carmin, la capitale girondine s’offre un nouveau récit, où le verre ne fait plus d’ombre à l’assiette mais l’embrasse en pleine lumière. Vous pensez connaître la ville par cœur ? Ouvrez vos papilles : le chapitre le plus savoureux de la gastronomie bordelaise commence maintenant.
Temps de lecture : 4 minutes

La gastronomie bordelaise n’a jamais autant fait saliver : selon l’Office de tourisme de Bordeaux, 43 % des visiteurs 2023 ont indiqué la table comme première motivation du voyage. Une progression de 7 points en un an. Dans un territoire où la réputation viticole écrase tout, cette statistique sonne comme un tournant historique. Entre cannelés vendus à plus de 12 millions d’unités par an et restaurants étoilés qui affichent complet trois semaines à l’avance, le terroir girondin écrit un nouveau chapitre culinaire. Vous cherchez la carte et la boussole ? Suivez le guide.

Panorama des spécialités bordelaises incontournables

Le patrimoine culinaire local repose sur des recettes souvent séculaires, gravées dans la mémoire collective comme dans la pierre blonde des quais.

  • Cannelé : apparu au XVIIIᵉ siècle, il doit sa croûte caramelisée aux moules en cuivre étamé et à une cuisson double à 220 °C, avant un repos de 24 h (base rhum-vanille).
  • Entrecôte à la bordelaise : pièce de bœuf grillée, nappée d’une sauce vin rouge, moelle et échalotes. Les bouchers de la rue des Faures en écoulent 250 kg chaque semaine.
  • Gratton de Lormont : ces résidus de graisse de porc frits se dégustent à l’apéritif, héritage des abattoirs du port.
  • Lamproie à la bordelaise : poisson cyclostome mijoté dans le vin de Graves depuis le Moyen Âge ; production annuelle estimée à 35 t seulement, d’où un prix dépassant parfois 45 €/kg.
  • Bouchon de Bordeaux (pâtisserie aux amandes) et dunes blanches du Cap-Ferret, stars Instagram aux 6 000 hashtags cumulés.

D’un côté, ces plats incarnent la transmission familiale. Mais de l’autre, les chefs n’hésitent plus à les revisiter, réduisant les sauces, allégeant le beurre ou injectant des accents asiatiques. Résultat : un équilibre subtil entre respect du patrimoine et innovation culinaire.

Repères historiques

1911 : création du Syndicat des Cuisiniers de Bordeaux.
1974 : première Fête du Vin et de la gastronomie bordelaise sur les quais.
2022 : le cannelé obtient sa marque collective, protégeant la recette contre les dérives industrielles.

Quel vent nouveau souffle sur la gastronomie bordelaise en 2024 ?

La question revient sur toutes les lèvres : comment une ville historiquement tournée vers le vin devient-elle un laboratoire culinaire ?

1. L’explosion du locavorisme

En 2024, 62 % des restaurateurs bordelais s’approvisionnent dans un rayon de 100 km (chiffres Chambre d’Agriculture 33). La Ferme de Baugé à Créon ou les marais ostréicoles d’Arcachon alimentent directement les cartes. Le succès du marché des Capucins – 30 000 visiteurs le samedi – illustre cette soif de proximité.

2. La vague végétale

Le nombre d’établissements “plant-forward” est passé de 3 en 2018 à 17 aujourd’hui. Le chef Nicolas Lascombes sert un tartare de betterave et noisettes torréfiées qui rivalise en notoriété avec son traditionnel foie gras poêlé.

3. La bistronomie responsable

Labels “Engagé RSE”, réduction des déchets, menus à 35 € le midi : la bistronomie attire les 25-40 ans lassés des additions salées. Chez Cromagnon, la cuisson au feu de bois réduit la consommation d’énergie de 28 % par service.

Chefs et établissements emblématiques à connaître

La constellation étoilée

  • Le Pressoir d’Argent – Gordon Ramsay, place de la Comédie : deux étoiles Michelin depuis 2016, 90 % des produits d’Aquitaine.
  • Hostellerie de Plaisance à Saint-Émilion : maison de famille dirigée par Ronan Kervarrec, 17/20 au Gault&Millau 2024.
  • Haut-Baillien – Clare Smyth, Pessac : ouverture 2023, première étoile décrochée en dix mois.

Les tables montantes

  • Mampuku : fusion franco-nipponne signée Stéphane Carrade, où le cèpe du Médoc rencontre le miso.
  • Tutiac Wine Bar : 24 références au verre et bouchées marines travaillées minute.
  • Judice : coffee-shop converti en cantine néo-gasconne le soir, 50 couverts, réservation en ligne obligatoire.

Focus sur la formation

L’Institut des Arts Culinaires et de la Table, inauguré en 2022 à Bassins à flot, accueille déjà 480 étudiants. Objectif officiel : “faire de Bordeaux le hub européen des métiers de bouche”.

Comment savourer Bordeaux au quotidien : conseils d’une locale

Qu’on soit résident ou simple curieux, quelques réflexes optimisent l’expérience.

  1. Arrivez tôt au marché des Chartrons : le banc d’huîtres ferme vers 13 h.
  2. Goûtez l’entrecôte bordelaise au Café Lavinal (Pauillac) avant de visiter un château viticole : l’accord mets/vins prend tout son sens sur place.
  3. Pour les douceurs, privilégiez les cannelés cuits “à la tournée” (toutes les deux heures) chez Baillardran, plutôt que les versions industrielles en supermarché.
  4. Explorez les quartiers périphériques : à Talence, l’ancien abattoir Darwin héberge un food-court où tacos gascons côtoient ramen au magret fumé.

Qu’est-ce que la lamproie à la bordelaise ?

La lamproie est un poisson sans mâchoire, pêché de janvier à avril dans la Garonne. Traditionnellement, on la saigne pour récupérer le sang, base de la sauce avec vin rouge, poireau et jambon de Bayonne. La cuisson dure trois heures. Riche en oméga-3 (environ 1,2 g/100 g), ce plat roboratif illustre la capacité de la gastronomie bordelaise à transformer un produit austère en mets noble.

Anecdote personnelle

En avril dernier, j’ai accompagné le chef Vivien Durand lors de sa tournée chez les maraîchers de l’Entre-deux-Mers. À 6 h 30, brume sur la Dordogne, il humait les asperges violettes avant d’en sélectionner 15 kg. “Le terroir parle avant le cuisinier”, glissait-il. Le soir, son menu de Pâques affichait sold-out en 47 minutes sur Instagram – preuve concrète de l’appétence pour l’ultra-fraîcheur.

Nuance sur l’accès au “bien manger”

D’un côté, les tables étoilées affichent parfois 250 € le menu dégustation, freinant les budgets modestes. Mais de l’autre, le ticket moyen des halles gourmandes reste inférieur à 15 € pour un sandwich aux rillettes de maigre et un verre d’entre-deux-mers. La révolution culinaire bordelaise est donc multiple, fédérant aussi bien l’étudiant pressé que le gastronome averti.


Je parcours ces tables depuis dix ans et la ville continue de me surprendre, entre traditions intactes et audaces assumées. Si vous foulez bientôt les pavés bordelais, gardez l’esprit curieux : une simple échoppe de quartier peut cacher le prochain grand plat de la scène girondine. Partagez vos découvertes, vos coups de fourchette et vos bonnes adresses ; la conversation autour de la gastronomie bordelaise ne demande qu’à s’étoffer.

gcope
Pierre François

Pierre François

Auteur / Economiste / Sociologue

👔 Sociologue et Chercheur
📍 Basé à Paris | Spécialiste en sociologie économique et sociologie de l'art
🎓 Formé à l'École Normale Supérieure et à l'Institut d'Études Politiques de Paris
🤝 Dirige des projets de recherche centrés sur le capitalisme et l'assurance
🌍 Intéressé par les liens entre économie, culture et société
💼 A publié sur des thèmes variés liés à l'économie et à l'art
📸 #Sociologie #Économie #Culture