Gastronomie bordelaise : en 2024, 78 % des visiteurs de la métropole classent la dégustation locale comme “moment fort” de leur séjour (Office de Tourisme, baromètre mars 2024). Avec plus de 1 150 restaurants enregistrés à Bordeaux intra-muros, la ville affiche le ratio le plus dense d’établissements par habitant de Nouvelle-Aquitaine. Une offre d’une richesse rare… et en pleine mutation. Décryptage, chiffres à l’appui, pour comprendre où bat le cœur culinaire de la capitale girondine.
Spécialités bordelaises : un patrimoine vivant
La cuisine girondine s’est construite sur un socle agricole et maritime. Les archives municipales signalent dès 1825 l’export de canelés vers Paris, preuve d’un rayonnement ancien. Aujourd’hui, quatre produits possèdent une IGP ou une AOP spécifique au territoire : l’huître du Bassin d’Arcachon, l’agneau de Pauillac, le bœuf de Bazas et le porc du Sud-Ouest.
Les incontournables à ne pas manquer
- Canelé : 40 millions d’unités vendues en 2023, soit +12 % en un an. Sa coque caramélisée reste la “signature sucrée” de la ville.
- Entrecôte à la bordelaise (ou “à la moelle”) : préparation codifiée dès 1877, remise à l’honneur par les bistrots contemporains.
- Lamproie à la bordelaise : pêche autorisée de décembre à mai, production annuelle plafonnée à 50 tonnes pour préserver l’espèce.
- Dunes blanches : chouquettes garnies d’une crème légère, créées par Pascal Lucas au Cap-Ferret en 2007, désormais vendues dans sept boutiques en centre-ville.
Entre tradition et modernité, ces spécialités se retrouvent aussi bien au Marché des Capucins qu’au tout nouveau food-court “Les Halles de Bacalan”, voisin de la Cité du Vin.
Comment la gastronomie bordelaise s’adapte-t-elle aux nouvelles tendances ?
La tendance plant-based gagne Bordeaux : en 2023, 23 % des restaurants proposaient une carte 100 % végétarienne ou vegan, contre 8 % en 2019 (panel CHD Expert). Les chefs jonglent avec terroir et conscience écologique.
D’un côté, le terroir insiste sur la viande rouge, le beurre clarifié et les sauces au vin. Mais de l’autre, la jeune garde—à l’image de la cheffe Katia Bacqueyrisse (restaurant Silex)—travaille légumes oubliés, graines germées et bouillons clairs. Résultat : une cuisine “flexitarienne” qui conserve la structure des recettes historiques tout en réduisant l’empreinte carbone.
Qu’est-ce que l’entrecôte « vino-responsable » ?
Concept lancé en 2022 par l’établissement “Bœuf & Vin” quai Richelieu. La sauce est montée au vin rouge certifié HVE (Haute Valeur Environnementale), la moelle provient de bovins bazadais nourris sans OGM, et la garniture mêle frites de patate douce et pulpe de raisin réutilisée. L’idée : préserver l’ADN de l’entrecôte tout en répondant aux attentes de consommateurs plus soucieux de durabilité.
Chefs et adresses phares : de Philippe Etchebest à La Tupina
Bordeaux compte aujourd’hui 6 restaurants étoilés Michelin. Philippe Etchebest reste la figure médiatique avec “Le Quatrième Mur”, place de la Comédie. Moins médiatisé mais tout aussi influent, Tanguy Laviale (Racines) a décroché une étoile verte pour sa gestion des déchets et son potager urbain de 400 m² à Bacalan.
Parmi les institutions, La Tupina (rue Porte de la Monnaie) sert depuis 1968 sa célèbre garbure au feu de bois. En 2023, l’établissement a affiché 92 % de taux d’occupation annuel, preuve que l’authenticité séduit toujours.
Repères chiffrés
- 1 450 : nombre de couverts servis chaque jour au Marché des Capucins, surnommé le “ventre de Bordeaux”.
- 65 % des chefs interrogés par la CCI en février 2024 prévoient une carte courte, renouvelée tous les mois, pour limiter le gaspillage.
- 17 000 bouteilles de vins locaux référencées dans les restaurants bordelais, faisant de la ville un leader français de l’accord met-vin.
Quelles nouveautés en 2024 ?
L’année 2024 marque l’arrivée de trois concepts majeurs :
- “Fermentum” (quartier Saint-Michel), premier bar-restaurant entièrement dédié aux aliments lacto-fermentés.
- “Plancha Atlantica” aux Bassins à flot, qui propose un “sea-grill” de poissons issus de la criée de La Cotinière.
- Le retour du festival “Bordeaux S.O Good” du 15 au 17 novembre : 120 exposants, 45 chefs invités, un record depuis la création de l’événement en 2014.
Pourquoi ces ouvertures intéressent-elles les analystes ? Elles confirment une mutation claire : la gastronomie bordelaise se diversifie vers la fermentation, le sourcing local et les cuissons spectaculaires, autant de thématiques déjà explorées dans nos dossiers “œnotourisme” et “mobilité durable”.
Pourquoi les canelés se déclinent-ils aujourd’hui en version salée ?
Deux raisons : la demande de finger-food lors des afterworks quai des Chartrons (+18 % de fréquentation en 2023) et la volonté des pâtissiers de valoriser le moule cannelé toute l’année. Les versions au fromage de brebis ou à la tomate confite apparaissent dans les vitrines de Baillardran et Cassonade, élargissant le spectre gustatif sans renier la forme emblématique.
Vers un futur à la croisée des terroirs
La puissance œnologique de Bordeaux influence naturellement sa table. Les sauces au vin, les réductions de Sauternes et les accords mets-graves demeurent des piliers. Cependant, le rapprochement avec l’Atlantique, symbolisé par le succès du ceviche de maigre au yuzu chez “Mauresque Seafood”, ouvre la ville à une fusion maîtrisée.
Bordeaux se situe donc à la croisée de plusieurs courants :
- Histoire rurale (cuisine de sous-produits, cuisson à la braise).
- Innovateurs urbains (street-food haut de gamme, fermentation).
- Influences maritimes (poissons bleus, algues d’Aquitaine).
Cette dynamique plurielle garantit l’évolution constante d’une scène culinaire déjà riche. En tant qu’observatrice de la première heure, je perçois une ville où les tables dialoguent : les vignerons proposent leurs marcs aux boulangers pour nourrir les levains, les chefs s’allient aux fermes hydroponiques de Bègles, les étudiants de l’ICFA Restauration testent des menus durables en pop-up.
Bordeaux n’a jamais cessé de cuisiner son futur. Chaque bouchée raconte la vigne, l’estuaire, la pierre blonde et l’accent chantant des halles. La prochaine fois que vous flânerez rue Sainte-Catherine ou sur les quais de Garonne, laissez-vous guider par l’odeur du beurre noisette : il cache peut-être une innovation prête à redéfinir, encore, la gastronomie bordelaise.


